dimanche 30 avril 2017

Carte postale du 01.05.1917

Avions à Taza (Delcampe)


Carte postale  Madame P. Gusdorf  22 rue du Chalet 22  Caudéran

Touahar, le 1° Mai 1917

Ma Chérie,

Je suis sans nouvelles depuis ta lettre du 20 à laquelle j’ai déjà répondu le 29 Avril ; j’attends avec impatience la suite donnée à l’affaire par Me Lanos.
Le mois de Mai débute très mal ici, car des pluies violentes ont succédé aux beaux jours d’Avril. Les sorcières semblent donc fêter la nuit de Walpurgis ici de la même façon qu’au Brocken ... (1)
Mes meilleurs baisers pour toi et les enfants.

Paul



Note (François Beautier)
1) - "Brocken" : point culminant du massif du Harz, en Allemagne centrale, où Paul avait l'habitude de passer la nuit de la fête de Walpurgis (fête païenne du printemps, christianisée tardivement et partiellement, caricaturée en sabbat de sorcières). Il y emmena Marthe au moins une fois puisqu'il lui en rappelle le souvenir, comme il le fit dans sa lettre du 11 mai 1915.

vendredi 28 avril 2017

Lettre du 29.04.1917

Madame P. Gusdorf  22 rue du Chalet 22  Caudéran

Artilleurs
Touahar, le 29 Avril 1917

Dimanche

Ma chérie

Je te confirme ma carte postale d’hier et reviens aujourd’hui sur ta lettre du 17 ainsi que sur celle du 20 qui m’est parvenue à midi.
Inutile de te dire que je comprends ton explosion de colère,  bien que j’eusse souhaité que tu prennes ou considères toute cette question comme une affaire, posément, froidement. Je sais bien que c’est là une question de tempérament, mais en se laissant aller au désespoir on ne voit plus clair, et une décision prise sous l’emprise de la colère est rarement bien à propos. Comme je te le disais dans ma lettre du 6 (1), mes réflexions, consignées dans ma lettre à Penhoat, dont tu as la copie, ne sont point des protestations platoniques, mais des idées à suggérer par Penhoat à l’avocat qui, en représentant P., défend aussi bien et en même temps nos propres intérêts. Ma lettre du 20 (2), à Mr. Penhoat, qui est passée par tes mains, est le complément de mon appréciation de la situation : tu en as vu que comme toi, j’envisage une séparation radicale de Leconte et cela dans le plus bref délai possible. Mais en ce qui concerne Penhoat, je ne suis point de ton avis. Il s’est comporté en bon ami vis à vis de nous, sans arrière-pensée et d’une franchise parfaite. S’il ne s’est pas reconnu dans les lignes de Leconte, ce n’est point si étonnant que cela car Penhoat n’est pas comptable de profession, n’y a jamais travaillé pratiquement, et enfin la comptabilité de Nantes, tout en étant bonne, est assez compliquée. 
Ceci dit, j’ajoute que je n’ai aucun plan pour travailler en commun avec Penhoat après la guerre, mais je suis décidé à soulever, en plein accord avec lui, la question de la liquidation de la maison. Quant au problème si nous restons en France après la guerre, il faut attendre la fin du cataclysme pour prendre une décision, mais je t’ai avoué il y a assez longtemps que je ne me cramponne nullement à cette idée. On fait du pain partout (3), et bien qu’en m’engageant au début de la guerre je caressasse l’espoir de vivre à Bordeaux comme par le passé, je ne suis pas assez buté pour ne pas changer d’avis si les circonstances elles-mêmes changent ... Mais ne perd pas de vue que Penhoat, qui est pourtant français, et même français mobilisé, se trouve pour le moment vis à vis de Leconte dans la même impuissance que moi (4). S’il n’y a pas une lacune grave dans la législation, cette situation aussi injuste que lamentable doit être changée promptement, aussi bien pour lui que pour nous, sur l’intervention de la justice. Et malgré les expériences amères que j’ai déjà faites durant cette guerre, j’ai encore l’espoir que tes démarches et celles de Penhoat ne resteront pas sans résultat.
En attendant, il faut naturellement vivre et je te répète ce que je t’ai dit à plusieurs reprises : Vends 2 obligations Communales 3% 1912 (5) qui te donneront environ 390 Frs. en attendant la solution. Renseigne-toi aussi quel prix on pourrait retirer des Amazones (6) et demande à Me Lanos (7) d’obtenir la délivrance de nos titres et intérêts au C.N.E.P. (8) Surtout, ne t’impose pas de privations à toi et aux enfants. Je pense que pendant mon séjour à Touahar je n’aurai plus besoin d’argent. 
Et je sens de nouveau combien il serait nécessaire que je vienne te voir ! D’ici 8 jours je compte descendre à Taza, car le Colonel doit rentrer la première semaine du mois de Mai. Sois certaine que je ne laisserai aucun argument de côté pour obtenir ma permission et qu’au besoin je demanderai la résiliation de mon engagement, et mon internement dans un camp de concentration.
Ici à Touahar c’est la vie monotone et décourageante dans le bled (9). 250 à 300 poilus (10) dans un camp sur un col de montagne, entourés d’une haute tranchée et d’un réseau de fil de fer. Autour de nous, à perte de vue, des mamelons, des montagnes, dont la dernière chaîne çà et là encore couverte de neige. Dans la vallée en bas, l’Inaouen (11) décrit ses lacets ; au delà du fleuve, à quelques kilomètres d’ici, la Kasbah des Beni M’Gara (12) détruite plusieurs fois par nous et complètement en ruines. Mais, par des jours clairs, on distingue là-bas à la jumelle des bicots qui, malgré les coups de canon envoyés dans leurs villages, y vivent encore comme si tout était calme. Hors du poste, c’est le grand silence, troublé seulement par le vent qui, dans cette hauteur, souffle souvent en tempête et fait trembler les baraques et leurs toits en tôle. En regardant le lointain, qui semble sans vie et éternellement muet, ou en faisant le tour du poste par un de ces jours brumeux comme aujourd’hui, où le monde semble enveloppé dans une couche épaisse d’ouate, on se demande vraiment pourquoi on est sur la terre, et s’il ne vaut pas mieux de n’être jamais né ... (13)
J’ai commencé la lecture du “Feu”. Ce livre, qui n’a rien du roman, est vraiment vécu, je suis même étonné que la dame Censure ne se soit pas opposée à sa publication, car les conclusions - très justes du reste - sont de nature à faire sérieusement réfléchir les grands patriotes de l’arrière, ainsi que les familles des combattants (14).
Je te laisse, ma chérie - ne t’abandonne pas au désespoir et supporte stoïquement l’averse actuelle. Nous aussi, nous verrons de meilleurs jours, et peut-être plus vite que nous ne pensons. Mais les injustices dont on est victime ont ce résultat qu’on devient égoïste à outrance et qu’on finira par se soucier uniquement de sa propre peau.
Mes plus tendres caresses et 1000 baisers pour toi et les enfants. Un bonjour pour Hélène.

Paul 




Notes (François Beautier)
1) - "du 6" : lettre perdue.
2) - "du 20" : cette lettre n'a pas été conservée puisque Paul l'adressait via Marthe à son associé Penhoat.
3) - "On fait du pain partout" : cet argument est à la fois une menace adressée à un éventuel censeur militaire, donc à la Légion et au-delà à la France, et un constat rassurant destiné à Marthe, qui reproche implicitement à Paul de ne pas avoir quitté la France, voire l'Europe, avec toute la famille, dès la déclaration de guerre.
4) - "que moi" : L. Leconte ne verse pas leurs parts de bénéfices à ses deux associés, qui le poursuivent en justice (le cas de Paul étant compliqué par la mise sous séquestre de ses biens, donc aussi de son capital et de ses intérêts dans la Société L. Leconte).
5) - "3% 1912" :il s'agit de l'emprunt obligataire à 3% d'intérêt lancé en 1912 par le Crédit Foncier de France pour un montant de 500 millions de francs destiné à financer les prêts aux communes. Les titres étant établis au porteur, Marthe pouvait en disposer. À l'émission en 1912, chaque obligation valait 250 francs : le cours est à la baisse (la demande ayant fléchi du fait de la guerre) puisque Paul l'évaluait en novembre 1915 à 200-205 francs (voir sa lettre du 29 novembre 1915) et maintenant, en avril 1917, à 390 francs pour deux obligations (soit 195 francs l'une).
6) - "Amazones" : l'État brésilien d'Amazonie ne paie plus les intérêts de ses obligations depuis 1914. La France négocie depuis 1915 la reprise de leur paiement mais, en attendant, le cours de ces obligations au porteur s'effondre. 
7) - "Me Lanos" : avocat de Paul à Bordeaux.
8) - "C.N.E.P." : Comptoir national d'escompte de Paris, qui gère notamment les emprunts effectués en France par les États étrangers, dont il conserve les titres aux noms de ses clients (ceux de Paul étant placés sous séquestre).
9) - "le bled" : désigne en argot français la campagne, et en langue arabe le territoire dépendant d'une autorité (le “Bled el Makhzen” désignait ainsi le territoire sur lequel le sultan était légitimement souverain).
10) - "poilus" : l'absence de majuscule pose la question de savoir si Paul se considère à part entière comme un Poilu (les derniers combats auxquels il a pris part étaient assez violents pour qu'il en revendique la légitimité) ou s'il s'y refuse, conscient de mener au Maroc une guerre prioritairement coloniale, d'une autre nature et d'une autre forme que la Grande Guerre des Poilus.
11) - "Inaouen" : officiellement Innaouen, mais à l'époque noté phonétiquement de diverses façons (Inaouène, Inawene... ).
12) - "Beni M'gara" : clan rebelle lié à la tribu des Beni Ouaraïn. Son territoire s'étend au nord (et un peu au sud) de l'oued Innaouen autour du Col de Touahar. La kasbah des Beni M’Gara, installée dans un méandre de l'oued à l'ouest immédiat du col, avait été détruite par la Légion en juillet et septembre 1916, elle constituait depuis lors un poste militaire français ; les villages situés plus au nord, sur le versant du Rif, avaient été pilonnés en mai 1914 par le général Gouraud puis en juillet 1916 par la Légion. Paul a décrit les ruines de cette kasbah et de ces villages dans sa lettre du 23 octobre 1916. 
13) - "n'être jamais né" : Paul sait que le motif devenu majoritaire des permissions est "la détente". Autant en manifester ici un besoin urgent... 

14) - "combattants" : effectivement, la question du laxisme de la censure se pose à propos de ce roman-témoignage - très critique envers l'Armée et plus généralement envers le bellicisme - qu'elle laissa publier d'abord en feuilleton à partir d'août 1916. En fait, les autorités militaires et les représentants de la nation avaient déjà pris conscience de la lassitude des civils et des militaires face au "bourrage de crâne", à la censure et à l'exploitation forcenée des soldats aussi bien que des ouvrières (la rédaction dès l'été 1916, puis le vote le 28 septembre 1916, par l'Assemblée nationale, de la “Charte du permissionnaire”, en atteste). Laisser paraître "Le Feu" participait de l'objectif de ne pas laisser le malaise se renforcer et s'étendre (ce ne fut pas le cas : "Le Feu" - avec la première description d'une exécution pour l'exemple - annonça et suscita en partie les troubles de l'année 1917 ainsi que le passage à l'extrême-gauche de son auteur et de beaucoup de ses lecteurs). Par ailleurs, cette question se pose aujourd'hui parce que l'habitude fut prise après 1917 de considérer cette prise de conscience comme le résultat des mutineries des soldats du rang et des agitations ouvrières de l'année 1917, dans une conception populiste et/ou marxiste de l'Histoire, alors que ce furent bel et bien les cadres - l'élite - de l'armée et de la nation qui l'initièrent dès 1916, y compris en reconnaissant Henri Barbusse comme l'un des porte-parole du peuple qu'il importait sinon d'écouter, du moins de faire mine d'entendre. 

jeudi 27 avril 2017

Carte postale du 28.04.1917


Avertissement: Chers lecteurs, une lettre égarée récemment retrouvée, datée du 12 avril 1917, vient d'être remise à sa place dans le blog, avec les notes de François Beautier, et je vous invite à la consulter. Anne-Lise Volmer 


Carte postale  Madame P. Gusdorf  22 rue du Chalet  Caudéran

Touahar, le 28 Avril 1917
  Samedi

Ma Chérie, 
Je viens de recevoir ta lettre du 17 ainsi que le livre de Barbusse “Le Feu” (1); mille mercis. L’installation dans notre nouveau poste étant à peu près terminée, je t’écrirai demain une lettre.
J’espère que mes lettres des 6 (2) (de Souk el Had) et 20 (3) (de Taza) au sujet de Leconte sont parvenues entretemps et attends tes bonnes nouvelles à ce sujet.
Mes meilleurs baisers pour toi et les enfants.


Paul




Notes (François Beautier)
1) - "Le Feu" : sous-titré "Journal d'une escouade", le roman-témoignage de guerre plus ou moins autobiographique de l'engagé volontaire Henri Barbusse (qui avait plus de 40 ans au début de la guerre) parut en feuilleton en 24 chapitres dans l'Œuvre à partir d'août 1916 avant d'être publié chez Flammarion, en un seul tome de plus de 400 pages, en novembre 1916 et d'obtenir en décembre le prix Goncourt. (Voir sur Instagram "lirelesgoncourt)
2) - "6" : cette lettre n'a pas été reçue ou conservée. Elle aurait été écrite le jour même de la prise du camp d'Abdelmalek, à laquelle Paul contribua de loin - en le contournant par le nord avec sa colonne alors que l'autre Groupe mobile l'attaquait par le sud - mais cependant d'assez près pour que son livret militaire en porte la mention.
3) - "20" : il s'agit vraisemblablement de la lettre datée du 19.

samedi 22 avril 2017

Carte postale du 23.04.1917




Carte postale  Madame P. Gusdorf  22 rue du Chalet 22  Caudéran

Taza, le 23-4-17

Ma Chérie,

Merci pour tes lettres des 12 et 15 courant ainsi que du mandat qui vient de me parvenir en même temps. Il est officiel maintenant que nous partirons demain pour Touahar (Territoire de Taza) où je te prie d’adresser dorénavant ma correspondance.
Je me réfère à ma lettre d’hier et t’envoie ainsi qu’aux enfants mes meilleurs baisers.


               Paul

vendredi 21 avril 2017

Lettre du 22.04.1917

Le "book" de Marthe Régnier (Wikipédia)


Madame P. Gusdorf  22 rue du Chalet 22  Caudéran

Taza, le 22 Avril 1917

Ma chère petite femme,

Voici enfin un dimanche, qui me permet de me mettre à jour avec ma correspondance : je t’ai bien adressé avant-hier une lettre destinée à Mr. Penhoat que tu lui auras transmise après en avoir pris note ainsi que des 2 lettres Penhoat-Leconte (1) qui l’accompagnent. A ce sujet tu me ferais plaisir en me disant si Me Bonamy (2) ou l’avocat de Bordeaux (3) t’a mise au courant de la notification de Leconte ? Et je te répète de vendre une ou deux obligations du Crédit Foncier (4) en attendant que l’affaire soit liquidée par moi dans le sens indiqué par mes lettres des 6 et 21 courant (5). Tu pourrais demander aussi au besoin au séq. (6) ou à son représentant de vendre un des titres encore en dépôt au C.N.E.P. (7), par exemple l’Extérieur Espagnol (8), et l’autorisation d’y toucher les intérêts des titres. N’est-ce pas la rente 4 1/2% Argentin (9) qui s’y trouve encore ? Dans tous les cas, les avocats comprendront bien qu’il faut vivre avant tout !
  Me référant à mes lignes du 20 (10), j’ai le regret de te dire que notre Colonel étant momentanément absent, j’ai pu m’entretenir seulement avec le Commandant, chef de notre Bataillon, ce matin. Celui-ci m’a reçu d’une façon très bienveillante - mais il ne savait rien du tout de la note en question. Il m’a cependant promis de se renseigner au Bureau du Régiment au sujet de la note en question et de faire (au besoin) une enquête pour qu’elle soit contrecarrée. Pour cela, disait-il, il suffirait d’un certificat de la Mairie attestant ma loyauté (Certificat de Loyauté) (11). Dès qu’il sera au courant de l’affaire, il me fixera un nouveau rendez-vous et si alors mon certificat de bonne vie et moeurs ne suffit pas (celui que tu m’as envoyé l’autre jour) je vais lui indiquer des références telles que Penhoat, Lagache, Colombier, Woolougham (12), Fourgous, Pineaux, Capuron (13) etc. et aussitôt, je reviendrai à la charge pour ma permission en mettant tout en branle pour te revoir, s’il y a seulement un brin de possibilité.
J’ai donc tes lettres des 23-28-30 Mars, 1°-3-5-8 & 10 Avril, ainsi que la gentille petite lettre de Suzanne, celle de Georges et la carte de Pâques. 
N’attend pas que je réponde à tout cela aujourd’hui, mais laisse-moi au moins constater que tu commences à passer maîtresse dans l’art d’écrire des lettres. Tu as réellement appris beaucoup depuis notre séparation et si tu continues comme cela, il nous arrivera peut-être la même histoire qu’aux deux amants dans “la Rampe” du baron Henri de Rothschild, que nous avons vue avec Marthe Régnier ... (14)
La colonne que nous venons de terminer sous les ordres du Général Cherrier était très dure (15), je ne parle pas seulement au point de vue des combats et pertes, mais aussi comme marche et fatigue ; il faut cependant reconnaître qu’au point de vue du ravitaillement nous étions mieux soignés que pendant les autres colonnes auxquelles j’ai participé. Mais il y avait des étapes extrêmement fatigantes, des journées entières où l’on marchait sac au dos, du matin au soir, sous un soleil de plomb, grimpant des mamelons et montagnes de la hauteur de celles des Vosges ou du Harz (16). Alors la fatigue, l’abattement physique deviennent tels qu’on bénirait sur le moment la balle qui nous arracherait pour quelques moments de cette vie ... Dans la nuit du 9 au 10, à Souk el Sept (17), une balle a traversé notre tente ; le lendemain matin, en regardant les 2 trous (d’entrée et de sortie) MM. les agents de liaison ne disaient rien, mais le même soir on faisait une tranchée pour s’abriter, et à partir de ce jour, il en fut toujours ainsi.
Abd el Malek nous a échappé une fois de plus : son camp a été pris, contenant encore 1/2 douzaine de tentes : des souterrains y avaient été aménagés contre les avions (18). On y a trouvé aussi la preuve qu’Abd el Malek est bien en relation étroite avec les Allemands, du moins ceux qui, autrefois au Maroc, ont gagné le Rif, et avec les déserteurs de la Légion. Les partisans et réguliers d’Abd el Malek sont munis de fusils allemands (19), mais les cartouches semblent être espagnoles. Sous un rapport, cela vaut mieux pour nous que leurs anciennes grosses balles de plomb qui faisaient des blessures effroyables, alors que les balles nickelées actuelles sont même un peu plus petites que les nôtres (20), de sorte que les blessures guérissent mieux qu’autrefois. Inutile d’ajouter que la Légion participe dans une mesure honorable aux pertes : heureusement il y a proportionnellement très peu de morts (21) chez nous.
Ce qui m’étonne et m’effraie même un peu, c’est la passion avec laquelle tu t’occupes de la politique. Tu travailles décidément trop avec les sentiments : cela a de gros inconvénients, crois-moi ! Je suis, moi aussi, l’évolution de la politique un peu partout, mais j’y reste autrement froid que toi, tout en pesant et soupesant le pour et le contre. 
Bon, voilà le facteur ! Dernier cri de guerre (22): nous partirons mercredi pour Touahar (23), y prendre garnison pour 3 mois et ne participerons donc pas aux colonnes qui se préparent pour le mois prochain déjà. Mais qu’est-ce qu’il ne va pas falloir préparer pour ce déménagement ! (24)
Je finis donc cette lettre, mais t’écrirai sûrement demain, sinon ce soir.
Mille baisers pour toi et les enfants.


Paul



Notes (François Beautier)
1) - "Penhoat - Leconte" : les deux associés de Paul.
2) - "Me Bonamy" : avocat de Paul à Nantes.
3) - "avocat de Bordeaux" : Maître Lanos.
4) - "Crédit Foncier" : Paul possède des titres d'emprunt obligataire du Crédit Foncier de France. Mais, comme l'ensemble de ses biens, ils sont placés sous séquestre : Marthe peut cependant revendre ceux qui sont établis "au porteur" par l'intermédiaire d'un ami (par exemple Mr. Wooloughan qui a plusieurs fois été mentionné par Paul).
5) - "6 et 21" : ces deux courriers manquent. 
6) - "au seq." : à l'administrateur du séquestre.
7) - "C.N.E.P." : le Comptoir national d'escompte de Paris gérait habituellement de nombreux emprunts nationaux étrangers ("extérieurs"), en plaçait les titres auprès de ses clients et leur en distribuait les intérêts. Le séquestre qui frappe les Gusdorf en tant qu'étrangers ressortissants ennemis a gelé les titres de ces emprunts achetés par Paul avant-guerre aussi bien que leurs intérêts (les "rentes"). 
8) - "l'Extérieur espagnol" : emprunt obligataire national espagnol destiné à financer le développement industriel, lancé à l'étranger en 1906 avec un taux de 4%.
9) - "le 4 1/2% argentin" : emprunt obligataire de la Banque nationale d'Argentine, lancé en 1906 au taux de 4,5% (l'emprunt russe lancé la même année promettait 6%).
10) - "du 20" : il semble qu'il s'agisse du 19.
11) - "certificat de loyauté" : la loi française du 7 avril 1915, en réponse à la loi allemande dite "Delbrück" du 22 juillet 1913 (voir le courrier de Paul du 16 juillet 1916), établit l'obligation de l'État de prononcer la dénaturalisation française de tout originaire d'un pays ennemi qui aurait pris les armes contre la France, ou se serait soustrait à ses devoirs militaires en quittant le territoire français, ou aurait "conservé" sa nationalité ennemie d'origine. Ce dernier fait étant difficile à établir ("avoir conservé sa nationalité ennemie" se démontrait par le fait d'avoir conservé au moins un trait culturel caractéristique de sa nation ennemie d'origine), les préfets (puis - à partir de la loi du 18 juin 1917 - les tribunaux civils) s'inspirèrent du droit des entreprises concernant la "fidélité" de leurs salariés pour recourir à des "certificats de fidélité" (à la nationalité française) établis par les maires après enquête auprès de leurs administrés (les commissaires de police établissaient de même des certificats de bonne vie et mœurs qui conditionnaient l'obtention de permis de séjour pour les étrangers et l'accès à certains droits pour les Français). 
12) - "Woolougham" : depuis le 30 juillet 1916 Paul écrit le nom de son ami et relation d'affaires américain avec un m et non plus un n final. 
13) - "Capuron" : toutes les personnes ici listées sont des relations d'affaires de Paul. Toutes, sauf Pineaux, ont été nommées dans la lettre du 30 juillet 1916 comme des témoins susceptibles de répondre de la "fidélité" de Paul envers l'entreprise L. Leconte. Cette fois elles témoigneraient de sa "fidélité" envers la nation française. 
14) - "Marthe Régnier" : comédienne de théâtre et de cinéma (1880-1967), maîtresse du médecin-écrivain Henri de Rotschild (1872-1947), dont elle joua dès sa parution en 1909 la pièce "La Rampe". Cette comédie en 4 actes tendait à démontrer qu'une femme est d'autant plus aimée qu'elle sait se placer, seule, sous les feux de la rampe. Paul, un peu inquiet mais aussi rassuré de la capacité de Marthe à prendre son autonomie, fait ici allusion au personnage de Madeleine Grandier joué par Marthe Régnier.
15) - "très dure" : effectivement, le 10 avril 1917 (après la prise du camp d'Abdelmalek à Souk el Had le 6 avril) la colonne commandée par le général de brigade Cherrier fut très brutalement accrochée entre Souk el Had et Souk es Sebt par un groupe de rebelles s'échappant vers le nord du Rif. Elle décrocha d'extrême justesse grâce à l'arrivée d'un renfort de la Légion venant de Taza. 
16) - "Harz" : la comparaison du massif du Rif avec celui des Vosges est très juste et parlante, tant pour les altitudes, pentes, dénivellations et étagements de végétation. Mais Marthe connaît moins les Vosges que le Harz allemand (ou Hartz, en français), que Paul doit donc citer, au risque qu'un éventuel censeur y voie un indice de sa "fidélité" à la nation allemande. 
17) - "Souk es Sept" : Souk es Sebt, sur les hauteurs du versant du Rif au nord de Taza.
18) - "les avions" : Taza dispose d'une piste servant aux avions des deux premières escadrilles d'observation et de chasse constituées au Maroc par le capitaine De la Morlais à partir de juin 1913, lesquelles resteront seules et basées uniquement à Casablanca jusqu'en juin 1917.
19) - "fusils allemands" : sans doute des Mauser, réputés plus efficaces que les Lebel français.
20) - "les nôtres" : le fusil Lebel tirait des balles de 8mm de diamètre, alors que le calibre du Mauser allemand variait selon les modèles de 6,5 à 7,92 mm. Pour rassurer Marthe, Paul exagérait les effets d'une si faible différence de taille. 
21) - "très peu de morts" : ce mensonge éculé ne convainc que ceux qui veulent y croire. On peut se demander si Paul abuse de la crédulité de Marthe ou s'il souhaite persuader son éventuel censeur qu'il est lui-même complice des pieux silences et mensonges de la Légion ou abusé par le bourrage de crâne de l'Armée.
22) - "cri de guerre" : rumeur de cour de caserne.
23) - "Touahar" : poste à l'ouest de Taza, où Paul a plusieurs fois séjourné, jusqu'alors sans grand risque.
24) - "déménagement" : le détachement devra emporter de quoi tenir tout un trimestre. 

mercredi 19 avril 2017

Lettre du 19.04.1917

Militaires en permission


Madame P. Gusdorf  22 rue du Chalet 22  Caudéran

Taza, le 19 Avril 1917

Ma Chérie, 

Je te confirme ma carte postale de ce jour par laquelle je t’annonçais ma rentrée à Taza où j’ai trouvé tes lettres des 8 et 10 ainsi que tout un paquet de journaux.
Si je t’écris encore à la hâte ces quelques lignes, c’est pour te dire que je viens enfin d’apprendre exactement les raisons qui ont motivé le refus de ma demande de permission. Le Colonel commandant le Régiment y a mis une observation disant que ma situation lui paraissait intéressante, mais il existe une fiche de renseignements sur moi disant que je suis considéré comme suspect (1).
Cela, c’est trop fort ! Je ne sais pas quoi dire !
Renseignements pris, cette fiche serait arrivée il y a plus de 2 ans, un peu plus tard que moi-même au Maroc. J’ai donc l’idée que c’est Camprevon (2) et son journal de St Nazaire qui ont insinué cela et je te prie de me retourner les coupures que je t’ai adressées dans le temps. Le journal s’appelle “La Démocratie de l’Ouest” ou “La Dém. de St Nazaire” (3). Car j’ai demandé immédiatement d’être présenté au Colonel du Régiment (4) (qui se trouve ici à Taza) et j’espère pouvoir m’expliquer avec lui samedi 21 ou dimanche 22. Je vais, bien entendu, lui demander de faire une enquête sérieuse ou bien, si le Colonel ne consent pas - ce que je ne puis pas croire jusqu’à nouvel ordre - je lui demanderai de résilier mon engagement et de me faire interner dans un camp de concentration. Je te fixerai aussitôt après mon entrevue.
Tu te figures facilement dans quel état d’esprit cette révélation m’a mis ! Je suis effectivement incapable de te causer plus longuement aujourd’hui.
Mes meilleurs baisers pour toi et les enfants, le bonjour pour Hélène.

Paul




Notes (François Beautier)
1) - "suspect" : cette suspicion entraîne aussi le rejet de la demande de naturalisation implicitement exprimée par Paul par son engagement dans la Légion pour la durée de la guerre.
2) - " Camprevon" : cette personne est ici pour la première fois mentionnée. Il s'agit vraisemblablement de Louis Campredon (1863-1928), un patron renommé et respecté qui dirigeait à Saint Nazaire un laboratoire d'analyses chimiques spécialisé dans l'expertise des combustibles destinés aux industries métallurgiques. À ce titre en relation avec Louis Leconte (courtier en combustibles à Nantes), il aurait pu être cité par lui comme témoin. 
3) - "de Saint-Nazaire" : le journal "La démocratie de l'Ouest", édité à Saint-Nazaire, a publié en février 1915 un article suspectant Paul d'être un "agent allemand" installé dans la Compagnie L. Leconte (voir la lettre du 18 février 1915). Paul a plusieurs fois évoqué cet article sans jamais en préciser la date ni en nommer l'auteur, mais toujours en faisant de L. Leconte son inspirateur. À l'époque, la Ligue patriotique autant que la presse nationaliste et les autorités appelaient les citoyens au boycott et à la dénonciation des entreprises françaises ayant des relations avec l'ennemi : L. Leconte avait intérêt à écarter de ses affaires Paul, "ressortissant ennemi", d'abord pour en finir avec les suspicions, puis accessoirement pour mettre la main sur la part des bénéfices (voire des capitaux) revenant à Paul (temporairement gelée par le séquestre de ses biens).

4) - Colonel du Régiment" : il s'agit du lieutenant-colonel Lucien Batbedat, qui commanda le 1er Régiment de marche du 1er Régiment étranger de 1915 à 1918, et fut à ce titre commandant du Groupe mobile de Msoun en mai-juin 1916. En décembre 1914, alors qu'il était en métropole commandant par intérim du 33e Régiment d'infanterie, il s'était opposé à la volonté de mouvement offensif du capitaine Charles de Gaulle, qui le lui reprocha dans ses "Mémoires de guerre". 

mardi 18 avril 2017

Carte postale du 19.04.1917

Souk au camp militaire
Carte postale  Madame P. Gusdorf  22 rue du Chalet 22  Caudéran

Taza, le 19 Avril 1917

Ma Chérie, 

Nous sommes rentrés (1) à Taza et je t’écrirai demain une longue lettre.
En attendant, il te suffira de savoir que je suis en bonne santé, bien que rudement fatigué ! J’ai trouvé ici plusieurs de tes lettres et y répondrai demain.
Mes meilleurs baisers pour toi et les enfants.


Paul




Note (François Beautier)
1) - "rentrés" : après la prise du camp d'Abdelmalek le 6 avril, Paul a participé aux combats du 10 avril (son livret militaire en témoigne) qui permirent aux Groupes mobiles de Fès et de Taza de se libérer de justesse d'une contre-offensive des rebelles entre Souk es Sebt et Souk el Had des Gheznaïa.

mercredi 12 avril 2017

Lettre du 12.04.1917

Les Sables d'Olonne en 1913


Madame P. Gusdorf  22 rue du Chalet 22  Caudéran

Souk el Had (1), le 12 Avril 1917

Ma Chérie,

Voici enfin un jour de courrier qui m’a apporté tes lettres des 28 et 28 Mars ainsi que du 1er Avril, les journaux du 24 au 30 Mars, 2 U anglais (2), quelques-uns de Penhoat, la carte de Suzette et une émanant d’un camarade en permission.
Nous sommes au repos aujourd’hui après quelques rudes journées: celle du 10 (anniversaire de Georges) était particulièrement sanglante pour nous (3)! Heureusement que le temps se maintient et que du moins nous ne soyons pas couchés dans l’humidité. Je t’ai écrit le 4 ou le 7 (4) en te donnant des instructions pour la marche à suivre contre Leconte; j’espère que Penhoat s’entendra avec toi pour que vous fassiez de concert les démarches nécessaires pour obtenir que Leconte continue à verser la pension mensuelle et j’attends tes bonnes nouvelles à ce sujet.
D’un autre côté je suis incapable de rassembler ici mes idées pour répondre comme il convient à tes différentes lettres.
Où je ne te comprends pas bien, c’est dans ton jugement sur Lloyd George (5), sur quoi te bases-tu donc en le peignant comme un César moderne, un dictateur dans le genre de Napoléon? Il me semble au contraire qu’au point de vue de la politique de guerre pour stimuler les énergies L. G. (6) est l’homme nécessaire à l’Angleterre en ce moment et qui fait en quelque sorte contrepoids à Guillaume II, mais dans un sens autrement moderne et démocratique. Tu auras vu ou lu aussi qu’il est décidé à accorder aux femmes le droit de vote... (7) proposition de Mr Asquith (8) qui, lui, fut autrefois l’adversaire détesté des suffragettes. C’est encore un signe du temps, ces concessions sur le terrain de la politique intérieure. Je t’ai déjà donné mon avis sur la révolution russe, qui n’a subi aucun changement depuis. Il est à espérer que la République soit définitivement adoptée en Russie (9); je reste néanmoins sceptique quant à un changement radical des méthodes et habitudes russes. L’entrée de l’Amérique à côté des Alliés nous a été apprise avant-hier, et j’attends avec curiosité le texte in extenso du message du Président Wilson (10). S’il se décide à participer à la guerre, c’est sans doute pour avoir une voix dans le Congrès de la Paix (11) où son intervention ne pourra que faire du bien. Car le peuple américain n’est pas capable de passions de haine comme ceux qui sont actuellement et de si près mêlés à la lutte. Peut-être Wilson compte-t-il aussi que l’intervention des U.S. ferait une grande impression sur l’opinion publique en Allemagne qui, jointe aux lueurs de la révolution russe, pourrait amener un changement total de la mentalité allemande. Le poème d’il y a 104 ans, «Wach Auf mein Volk, die Flemmenzeichen rauchen - Hell aus dem Norden bricht der Freiheit licht» (12) est actuellement aussi vrai, ou même davantage, qu’en 1813. Mais il ne semble se trouver personne en Allemagne qui serait capable d’ouvrir les yeux des habitués à l’obscurité...
Je regarde toujours de nouveau les trois petites mèches de cheveux fins avec leurs rubans bleu-ciel. Georges et Alice ont donc les mêmes cheveux, presque à s’y méprendre. Que la petite devient gauchère est tout à fait bizarre, car ni dans ta famille ni dans la mienne il existe un tel cas à ce que je sache. Et la théorie de Hélène sur les impressions aux Sables (13) ne parvient point à me convaincre, je ne me rappelle même plus du tout que Mme Leconte était gauchère... Cependant ce qui m’inquiète beaucoup c’est cette anxiété manifestée par les enfants lorsqu’on sonne à la porte. Ce n’était point comme cela autrefois, au contraire, Suzanne et Georges jubilaient et sautaient lorsqu’ils entendaient la sonnette. Est-ce par suite de l’absence de la joie dans la maison qu’ils ont changé à ce point?
Aussitôt rentré à Taza (14), je compte faire quelque chose de décisif pour mettre ma propre situation au clair. Cela me rapportera peut-être une grosse punition, peut-être autre chose. Je viens d’apprendre en effet qu’un homme, allemand comme moi, a obtenu une permission pour la France. Si cela se confirme, je vais faire une demande ou de m’accorder une permission ou de résilier mon engagement du 21-8-14 (15).
Quelle est donc l’adresse de Mme Baboureau (16)? j’ai connu en effet son père assez bien, au temps qu’il était encore magasinier chez Moulinié. 
Ici les opérations ne sont point terminées, et il se peut que nous restions encore 10-12 jours (17) dehors, car nous construisons ici un réduit, et il n’est pas question de retour à Taza tant que Abd el Malek (18) et sa smala (19) ne sont pas complètement dispersés. Et Lyautey (20) va revenir sous peu!
Mes meilleurs baisers.


Paul



Notes (François Beautier)
1) - "Souk el Had" : officiellement "Souk el Had des Gueznaïa", site du revers sud du Rif où le camp d’Abdelmalek fut pris le 6 avril 1917.
2) - "2 U anglais" : il s’agit vraisemblablement de deux journaux anglais, mais cette désignation paraît obscure.
3) - "sanglante pour nous" : les deux groupes mobiles de Fès et de Taza furent attaqués par les rebelles le 10 avril 1917. Le livret de Paul porte mention de ces combats, finalement remportés par les "Français", en les situant entre Souk es Sebt et Souk el Had.
4) - "le 4 ou le 7" : ces courriers n’ont pas été conservés.
5) - "Lloyd George" : premier ministre britannique. Il était réputé pacifiste avant la déclaration de guerre à l’Allemagne par son prédécesseur Herbert Henry Asquith. Il se montra très déterminé à la gagner dès sa désignation comme chef du gouvernement le 7 décembre 1916 et conduisit finalement le Royaume Uni à la victoire.
6) - "L.G." : Loyd George.
7) - "droit de vote" : sous son gouvernement libéral, le Parlement vota effectivement la loi du 6 février 1918 qui accorda le droit de vote aux femmes âgées de 30 ans et plus.
8) - "Mr Asquith" : prédécesseur de Lloyd George, ce libéral avait été physiquement agressé à Dublin, le 18 juillet 1912, par des suffragettes britanniques. Il démissionna en décembre 1916 à la suite des "Pâques sanglantes d’Irlande" d’avril 1916 et de l’échec de l’offensive de la Somme (de juillet à novembre 1916) où son fils avait été tué.
9) - "en Russie" : Paul se montre radicalement républicain alors que le gouvernement provisoire de Russie, dirigé par le prince Gueorgui Lvov et appuyé par les membres du parti constitutionnel-démocrate (les K.D. ou "cadets"), est manifestement favorable à une monarchie constitutionnelle.
10) - "Président Wilson" : Le 2 avril 1917, le président des États-Unis a demandé au Congrès d’approuver l’entrée en guerre de son pays, ce qui fut officialisé par la déclaration de guerre du 6 avril 1917. Les premières troupes américaines débarquèrent à Boulogne sur Mer le 13 juin 1917. 
11) - "Congrès de la Paix" : le Président Wilson, s’appuyant sur l’American Peace Society (qui avait organisé plusieurs précédents Congrès de la Paix, notamment à Londres en 1843 et à Genève en 1867), souhaitait réunir au plus vite une conférence mondiale de la paix, que divers autres pacifistes (par exemple Aristide Briand, Marcel Cachin, le pape Benoît XV, Charles 1er Empereur d’Autriche…) appelaient aussi de leurs vœux. Cette espérance fut anéantie par les nombreux bellicistes des deux camps, par exemple les maréchaux Hindenburg et Ludendorff, et les premiers ministres Alexandre Ribot et Lloyd George. 
12) - "Freiheit licht" : Paul cite ici les premiers vers d’un poème écrit en 1813 par le poète lyrique, patriote et militaire prussien Carl Theodor Körner (1791-1813), dont une partie de l’œuvre fut mise en musique par Franz Schubert. Ce texte fut traduit (très librement) sous le titre "Appel" par Gérard de Nerval : "En avant, mon peuple ! La fumée annonce la flamme, la lumière de la liberté s’élance du nord vive et brûlante…". Le nord désigne ici la Prusse, qui rejoignit effectivement la 6ème coalition contre Napoléon. Theodor Körner, qui s’était engagé dans les corps-francs contre Napoléon, mourut au combat cette même année 1813. Il semble qu’en 1917, Paul tenait au contraire la Prusse pour l’éteignoir des lumières allemandes.
13) - "aux Sables" : dans sa lettre du 15 août 1916, Paul rappelait qu’il avait passé le mois d’août 1913 aux Sables d’Olonne en vacances avec sa famille, Hélène et Mme Leconte. Marthe était alors enceinte de la future Alice, qui naquit le 30 octobre 1913. 
14) - "à Taza" : Paul y sera de retour le 19 avril. 
15) - "du 21-8-14" : Paul s’est effectivement engagé le 21 août 1914 dans la Légion, à Bayonne, le premier jour d’ouverture de ces engagements. Bien que cet engagement ait été signé "pour la durée de la guerre", Paul envisage de passer outre en demandant à bénéficier du nouveau régime des permissions institué par le Ministère de la Guerre dans ses Instructions du 28 janvier 1917 qui accorde à tout soldat à compter du 1er février 1917 une permission de détente de 7 jours tous les 4 mois.
16) - "Mme Baboureau" : Paul employait à Bordeaux l’époux de cette dame dont il avait aussi connu le père. Il semble que Mr Baboureau était lui-même mobilisé au front. 
17) - "10-12 jours" : en fait 6 jours seulement (la lettre suivante, datée du 19 avril, est postée de Taza).
18) - "Abd el Malek" : Abdelmalek, chef des rebelles berbères du Maroc. 
19) - "la smala" : ce mot arabe désigne le campement provisoire des proches et de la cour du chef. Le campement d’Abdelmalek fut détruit à Souk el Had des Gueznaïa le 6 avril 1917 mais celui-ci s’enfuit avec sa suite. Il fut tué au combat par les Français dans le sud marocain en août 1924. 
20) - "Lyautey" : précédemment Ministre de la Guerre, poussé à la démission par Clemenceau le 14 mars 1917, Louis Hubert Lyautey reprit bien vite toutes ses fonctions de pacificateur, d’organisateur et de protecteur du Maroc. Abdelmalek, en tant que rebelle inspirateur d’autres mouvements anticoloniaux contre la France, notamment en Algérie, était considéré par le gouvernement français et par Lyautey comme un redoutable danger pour l’avenir de l’empire colonial français.