mardi 31 janvier 2017

Carte postale du 01.02.1917

Porte de Bab el Rih à Taza (porte du vent) Document Delcampe


Carte postale Madame P. Gusdorf  22 rue du Chalet 22  Caudéran

Taza, le 1° Février 1917

Ma Chérie,

J’ai bien reçu ta lettre du 22 Janvier et viens de réclamer auprès de l’Officier transitaire d’Oujda (1) de faire des recherches pour mon colis ou bien de me rembourser sa valeur. Toutefois, comme le colis de fruits, d’après la Maison Magne, était parti d’Oran le 20/12, il n’est pas impossible que celui de Taza arrive encore, ce que je préfèrerais - car j’avais dans l’idée que le contenu te plairait !
Tu auras l’obligeance de me prévenir promptement le cas échéant.
Mille baisers pour toi et les enfants.


                                              Paul


Note (François Beautier)
1) - Oujda : dernière ville marocaine sur la route Taza-Oran (Algérie).

dimanche 29 janvier 2017

Lettre du 30.01.1917

Porte Bab Djemah, Taza
Madame P. Gusdorf  22 rue du Chalet 22  Caudéran

Taza, le 30 Janvier 1917

Ma chère petite femme,

Voici donc la troisième fois que je suis loin de toi le jour de ta fête (1) et s’il fait à Bordeaux le même temps qu’ici tu ne dois pas être de bien bonne humeur. Je suppose même, n’ayant eu de tes nouvelles depuis ta lettre du 17, que tu m’attendais encore aujourd’hui - en vain naturellement. Car, comme je te le disais déjà l’autre jour, même si je réussis à obtenir ma permission, je ne pourrai point partir d’ici avant le 13 Février vu que les demandes passent maintenant par Rabat. Ce qui semble certain, c’est que ma permission n’a été refusée ni par le Chef de Bataillon ni par le Colonel commandant notre régiment et celui commandant le Territoire de Taza et qu’elle a été donc transmise au Général Gouraud à Rabat duquel dépend le tout. Car d’autre permissions, transmises à peu près en même temps que la mienne, émanant de légionnaires de nationalités étrangères, sont revenues ces jours-ci comme étant refusées par le Colonel. Il reste donc, malgré tout, un peu d’espoir. Je compte seulement que tu as expédié mon mandat de façon à ce que, si je réussis, j’aurai quelques sous en poche en partant, car une fois la frontière marocaine franchie, je devrai me nourrir moi-même, recevant toutefois, en rentrant à Taza, une petite bonification (2) pour les jours de voyage.
Il est bien entendu que je t’ai écrit entre les 3 et 9 Janvier au moins 2 lettres ; les as-tu reçues entretemps, ainsi que celles des 26 et 29 Janvier ? Ta lettre du 26 Décembre, écrite en anglais, ne m’est point parvenue ; sans cela, je t’aurais répondu en anglais comme de coutume. Et mon colis de Taza, parti d’ici le 6 ou le 7 Décembre, est-il enfin arrivé ? Sinon, il faudra bien que je me décide à réclamer à la gare de Taza !
Depuis une huitaine de jours, nous avons ici un temps épouvantable : des pluies et une tempête qui cause des dégâts importants, tous les baraquements de la troupe étant faits par elle-même et en conséquence, pas trop solides. Dans la nuit de samedi à dimanche dernier (27 au 28 Janvier) je l’ai même échappé belle. Ce jour-là, le vent soufflait en ouragan et la pluie tombait à torrents. Comme la moitié de la Compagnie avait reçu une nouvelle piqûre anti-typhoïdique, (j’en ai déjà eu 14 et en aurai encore autant avec un peu de veine) et que presque tous les hommes avaient la fièvre à la suite de cette expérience (car ce n’est que cela : tous les ans on découvre un nouveau sérum et on l’essaie sur nous), l’autre moitié devait prendre la garde de la ville. Ce qui faisait que moi, qui ordinairement prends la faction au camp de la Cie (3), fus placé ce soir là à la porte de Bab Djemah (4) pour la nuit seulement. C’est une vieille porte qui perce le mur d’enceinte ; la sentinelle de nuit prend la faction du côté de la ville, surveille le mur et reçoit les rondes d’officiers et de sous-officiers qui passent plusieurs fois dans la nuit pour se rendre compte si tout va normalement. Pendant les 4 heures de faction, on est donc placé à côté d’une vieille tour de 6 à 7 m de hauteur, moitié en ruines et qu’on a laissée sans doute pour conserver ces vestiges antiques du vieux Taza, car la tour n’avait même plus de toit. Je me mettais donc, pour être un peu à l’abri de la tempête, contre un des murs extérieurs de cette tour, enveloppé de mon imperméable. L’eau descendait en torrents de toutes les ruelles débouchant à cet endroit et, pendant ma dernière faction (de 1 à 3 h du matin), la nuit était tellement noire qu’on ne pouvait pas voir à 3 pas. On se tient donc doublement sur ses gardes, tendant l’oreille pour écouter ce qu’on ne peut voir, mais la tempête était si violente qu’on ne distinguait rien. A 2 h 10 une ronde passe - dans l’eau jusqu’aux genoux. A 2 h 25 à peu près l’ouragan était à son comble ; je me pressais contre le mur pour pouvoir seulement rester debout. Tout d’un coup, je reçois successivement 2 petites pierres sur la tête. Je pense un moment qu’elles viennent du mur d’enceinte, lancées par un Marocain (5). Car ceux-ci emploient ce petit truc lorsqu’on est dehors dans la tranchée pour que la sentinelle se penche au-dehors, voir ce qu’il y a, et qu’elle soit de cette façon plus facile à atteindre par un coup de fusil. Mais comme un troisième caillou me touche au même endroit et que je me rends compte en outre que le mur d’enceinte est trop loin pour pouvoir lancer des pierres avec cette précision dans l’obscurité complète qui règne, je me disais que le dessus de la tour se désagrégeait. Au même moment je sens une secousse assez violente et j’ai juste le temps de me coller tout droit contre le mur, là où il s’appuie sur un petit rocher, lorsque toute la tour s’écroule avec un bruit de tonnerre et que je suis couvert de boue et de poussière. La tour avait cédé un peu plus haut que ma tête et tout le dessus était poussé par l’ouragan par-dessus ma tête couvrant une surface qui s’avançait jusqu’à 10 et 12 mètres. Le lendemain matin je voyais parmi les décombres des blocs de plus de 100 kg dont un seul aurait suffi pour m’écraser complètement. Enfin, et comme par miracle, je n’ai pas eu la moindre égratignure, mais j’avoue que je n’ai pas dormi une minute pendant le reste de la nuit ... Mon camarade qui venait me relever à 3 h tâtait dans la nuit, ne voyant plus la silhouette de la tour carrée. Finalement il m’appelait et je n’avais pas le temps de lui répondre qu’il tombait déjà par terre de toute sa longueur respectable, ayant heurté un des blocs disséminés sur la route. C’était une nuit effrayante et tout le pays a été fortement éprouvé. Pas mal de murs se sont écroulés à Taza, des toits enlevés, des marabouts détruits, des arbres déracinés ou brisés net.
J’ai suivi d’assez près les bruits menés autour de la Paix. Le seul fait que les journaux parlent déjà autant de la paix que de la guerre - sinon davantage - est à mon avis un signe que la paix approche assez rapidement. Les Alliés, dans leur note au Président Wilson, auraient pu être encore plus clairs, mais le fait qu’ils indiquent au moins grosso modo leurs conditions donne à leur réponse un avantage marqué sur celle des Empires Centraux (6). L’interview du Président Poincaré (7) laisse également percer qu’on est tout disposé à écouter pour traiter ensuite, si c’est possible, mais après avoir entendu les propositions détaillées des Allemands. Il est donc à prévoir que ceux-ci les présentent, et je reste persuadé que la différence entre les 2 partis ne sera point aussi énorme qu’on semble se l’imaginer. La création d’une Société des Nations (8) notamment doit avoir beaucoup d’intérêt pour l’Allemagne qui, se voyant détestée un peu partout, se dira que c’est le seul moyen de rentrer dans des relations à peu près correctes avec les autres pays qui, s’ils ont obtenu auparavant des avantages politiques,  ne pourront guère imposer une situation économique spéciale à une Allemagne faisant partie de la Société des Nations. Le gros obstacle réside dans la Constitution allemande, la dynastie des Hohenzollern (9) qui, prévoyant qu’on ne leur pardonnera pas cette aventure, essayeront tout pour avoir, au moins en apparence, une guerre “victorieuse”. Et je ne peux pas me figurer qu’ils se résignent au rôle des empereurs vraiment constitutionnels comme en Angleterre - n’ayant point le tempérament ni les traditions de se taire (10).
1000 baisers pour toi et les enfants.

Paul

Me voici déjà 2 ans au Maroc depuis le 27 courant. (11)



Notes (François Beautier)
1) - "ta fête" : l'anniversaire de Marthe, le 30 janvier.
2) - "bonification" ; d'après ce qu'en dit Paul ce serait une bonification rétroactive, donc plutôt une indemnisation.
3) - "Cie" : compagnie.
4) - "Bab Djemah" : porte orientale de la vieille ville fortifiée de Taza, elle fait entrer la route venant d'Oujda jusqu'à la médina et à la mosquée principale Djemah el Kebir (bâtie au 12e siècle, comme les remparts et leurs tours). La porte correspondante à l'ouest (conduisant à Fès) est dénommée Bab er Rih.
5) - "un Marocain" : il semble que Paul ait décidé d'employer la majuscule et de renoncer aux surnoms dégradants pour désigner enfin correctement les vrais propriétaires du Maroc. Ce faisant il s'aligne sur la pratique de ses plus hauts chefs militaires, Lyautey et Gouraud, dont dépend le sort de sa demande de permission...
6) - "Empires centraux" : en réponse à la demande du Président Wilson du 18 décembre 1916 de préciser leurs buts de guerre et leurs conditions de paix, l'Allemagne et implicitement l'Autriche-Hongrie déclarèrent le 26 décembre rejeter la proposition de médiation américaine, puis lancèrent le 7 janvier 1917 la menace d'une guerre sous-marine totale, qu'ils mirent à exécution deux jours plus tard. Le lendemain de cette lettre, le 31 janvier, l'Allemagne exposa explicitement à Wilson qu'elle tenait à se doter de territoires nouveaux en Europe et en Afrique, ce qui rendait la paix impossible. Cette position était connue depuis longtemps. Mais la guerre sous-marine à outrance (dont la phase précédente avait provoqué la tragédie du Lusitania le 7 mai 1915) conduisit les États-Unis à rompre les relations diplomatiques avec l'Allemagne à compter du 3 février 1917 puis à lui déclarer officiellement la guerre le 6 avril 1917 (le Président Wilson en avait présenté la demande au Congrès quatre jours auparavant).
7) - "Poincaré" : Raymond Poincaré (1860-1934), républicain modéré fut Président de la République française de février 1913 à février 1920. Sa détermination à gagner la guerre trouva son expression dans la nomination de Georges Clémenceau ("le Tigre") à la Présidence du Conseil des Ministres en novembre 1917.
8) - "Société des nations" : voir la note "Président Wilson" de la lettre du 26 janvier 1917.
9) - "Hohenzollern" : dynastie royale et impériale vieille de 9 siècles dont le chef (c'est alors Guillaume II) est de droit empereur d'Allemagne et roi de Prusse. Du fait de sa constitution l'Allemagne est alors nécessairement impériale et sous la coupe de la Maison de Hohenzollern.
10) - "se taire" : si l'appréciation de l'entêtement de Guillaume II à conduire sa famille et son pays à la victoire est parfaitement crédible, Paul ne la mentionne qu'à titre de risque d'une défaillance de l'analyse qu'il vient de construire, laquelle conclut à l'imminence d'une paix négociée. Or, toutes les informations qu'il possède à cet instant devraient le conduire au contraire à dire à son épouse qu'une paix blanche est pratiquement impossible. En somme, tout ce qu'il dit sur la paix ne vise qu'à rassurer Marthe (un mensonge valant mieux, pour ce faire, qu'un silence).
11) - "le 27 courant" : Paul a envoyé sa dernière carte postale d'Algérie (de Sidi Bel Abbès) le 27 janvier 1915 en annonçant son départ le lendemain pour le Maroc. Sa première carte envoyée du Maroc (d'Oujda) est datée du 28.

mercredi 25 janvier 2017

Lettre du 26.01.1917

Journal du Peuple, janvier 1917 (Amazon)


Madame P. Gusdorf  22 rue du Chalet 22  Caudéran

Taza, le 26 Janvier 1917

Ma chérie,

J’ai bien reçu tes lettres des 15 et 17 courant, ainsi que les différents journaux et 2 numéros du “Journal du Peuple” (1). Un de mes camarades m’avait déjà donné tout récemment 2 exemplaires de ce nouveau journal qui doit être, à l’heure actuelle, l’extrême gauche de l’opposition.
Je trouve que ses critiques de la situation actuelle sont remarquables - remarquables surtout par le courage avec lequel il se défend contre le courant de l’opinion publique, tout-puissant en ce moment encore, d’autant plus que les dirigeants - comme dans tous les pays - font tout pour chauffer le chauvinisme à blanc. L’organe de Mr. Brizon (2) va même plus loin, il trouve des raisons pour défendre et louer certaines institutions et choses en Allemagne - ce qui ne sera que très médiocrement goûté par la grande masse qui forme les abonnés. Dans son numéro du 14 courant, il y avait même un article intitulé “Imitons plutôt”, article qui s’élevait contre les caricatures des journaux français qui veulent faire croire que les Allemands sont tous ou gros comme un sac de farine, ou maigres comme une allumette, myopes, ridicules ; les femmes laides, sans formes, et bêtes. L’auteur disait qu’il y a peu de pays où la gymnastique est aussi populaire qu’en Allemagne, qu’il y existe des pléiades d’athlètes dignes de supporter toute comparaison. Que les vieilles Allemandes ne sont ni plus ni moins ridicules que les grand mères françaises et que si en général la femme allemande vieillit plus vite c’est à cause du fait qu’en bonne patriote elle met bien plus d’enfants au monde que la femme française. Qu’il a connu cependant des jeunes filles d’outre-Rhin qui étaient aussi jolies, belles et gracieuses que n’importe quelle coquette de Paris. Il y a là certes matière à discussion, mais la volonté, le désir de reconnaître et de faire connaître aussi les bons côtés de l’ennemi sont tellement rares en ce temps trouble qu’on est tout surpris de lire des articles pareils. 
Je préfère néanmoins continuer à lire le “Journal” (3), ne fût-ce que pour suivre exactement le courant de l’opinion, créé et dirigé par la grande presse. Je m’étonne seulement que ces grands journaux fassent tout pour rendre difficile et pratiquement impossible la Société des Nations à laquelle fait allusion la note des Alliés au Président Wilson ! (4)
Pour ce qui concerne le bouleversement des idées sociales par la mobilisation, il est certain que le premier moment la plupart de ceux qui dans la vie civile, se trouvaient en haut de l’échelle et qui se sont retrouvés comme soldats de 2° classe sous les ordres d’un sous-officier, ancien garçon de ferme ou coiffeur, ont été piqués dans leur orgueil. Mais à bien réfléchir, il n’y a rien de surprenant que dans le métier militaire, surtout dans celui de nos jours où la science du stratège n’existe pour ainsi dire plus, un paysan fasse preuve de courage (= insouciance de sa vie) alors qu’un savant quelconque se montre plus anxieux. Du reste, le métier de sous-officier exige surtout du sang-froid et de l’autorité sur les hommes  ... faut-il réellement pour cela être bachelier ? C’est peut-être là une revanche de la force brutale, de l’exercice de gymnastique sur l’esprit ou l’intelligence  (5) ... pendant la durée de la guerre. D’un autre côté, je ne crois pas qu’un homme intelligent qui réellement fait preuve de bonne volonté et de patriotisme, ne puisse pas arriver à un grade à peu près en concordance avec son savoir-faire. Certes, pour le choix des officiers, on doit être encore assez dur, et même les relations doivent y être pour quelque chose - même dans l’armée française, pourtant réputée pour être la plus démocratique ! (6)
La hausse des vivres que tu signales est réellement impressionnante. Peut-être bien que les circonstances économiques auront une influence décisive sur la fin de la guerre, car la hausse doit être encore beaucoup plus importante en Allemagne par suite du blocus et malgré toutes les fissures de ce dernier !
La pièce de Maurice Donnay, écrite pour le Théâtre aux Armées, est tout simplement idiote si on la juge d’après la scène “la plus émouvante” reproduite par le Journal. Et dire que Donnay - dont nous avons vu ensemble “La Patronne” au Théâtre Français - est un des meilleurs !!! Relis donc le petit bouquin “L’Esprit Gaulois” qui se trouve dans la Bibliothèque (broché) et qui, bien que ne contenant que de petites histoires et nouvelles, te donne une idée toute autre de ce poète ! (7)
Même observation à faire sur le compte-rendu de la cérémonie au cimetière de Roubaix (8).
Pour ce qui est de la question du bail, tu oublies de me donner l’adresse de Mme Robin (9); je sais qu’elle habite Cours du Jardin Public, mais quel N° ? Je crois que c’est N° 13, mais ne me rappelle plus bien exactement. Bien entendu je ne pourrai que confirmer mon accord avec tes décisions. Je t’ai déjà dit que Penhoat m’avait écrit - il m’envoie encore une carte aujourd’hui ! 
Mes meilleurs baisers pour toi et les enfants, un bonjour pour Hélène (10).

Paul


Et mon colis n’est toujours pas arrivé, pour ta fête au moins ? 



Notes (François Beautier)
1) - "Journal du peuple" : fondé fin 1916 par Henri Fabre (1876-1969), il se situait effectivement à gauche du mouvement socialiste par ses exigences pacifistes et ses idées révolutionnaires internationalistes. Henri Fabre fit de son journal, dès les débuts de la Révolution russe de Février 1917 (en mars selon notre calendrier), le porte-parole en France des thèses bolchéviques. Au Congrès de Tours (1920) il se situa dans le camp de la Troisième Internationale et des fondateurs du Parti communiste français. En 1922, Henri Fabre, soucieux de maintenir l'indépendance de son journal face aux orientations de son parti, fut exclu du PCF sur ordre de Moscou - qui le jugeait de droite - et laissa alors disparaître le Journal du peuple pour se consacrer à l'hebdomadaire "La Corrèze républicaine et socialiste" qu'il avait fondé en 1918.
2) - "Mr Brizon" : Pierre Brizon (1878-1923), député socialiste, pacifiste et internationaliste de l'Allier de 1910 à 1919, exclu du PCF en 1922, fut pendant la Grande Guerre l'unique défenseur acharné des idées pacifistes à la Chambre. Bien que ses discours et ses écrits aient été systématiquement publiés par "Le Journal du Peuple", ce quotidien n'était pas "son organe" mais l'un de ses porte-voix parmi les journaux socialistes et pacifistes. Pierre Brizon fonda son propre journal, "La Vague", en 1918 et l'anima jusqu'à sa mort.
3) - "Le Journal" : quotidien devenu en 1915 la propriété du sénateur de la Meuse, Charles Humbert, qui en fit dès février 1916 le puissant clairon des mots d'ordre les plus typiquement nationalistes, chauvins et bellicistes de France. D'après sa lettre du 23 novembre 1916, il est possible que Paul ait écrit à ce "Journal", en novembre ou décembre 1916, pour dénoncer le manque de permissions dans les rangs des troupes françaises au Maroc. Paul dit préférer ce quotidien à d'autres parce qu'il y suit l'état de l'opinion publique française (qu'il croit donc globalement chauvine). On peut aussi penser qu'il s'affiche comme fidèle lecteur du "Journal" pour laisser entendre qu'il est lui-même sinon chauvin du moins patriote profrançais, ce qui constituerait un atout pour l'obtention de la nationalité française (ou d'un grade militaire lui permettant d'obtenir une permission).
4) - "Président Wilson" : Woodrow Wilson, président des États-Unis de 1913 à 1921. Les Alliés avaient répondu par leur note du 10 janvier 1917 à la question qu'il leur avait posée quant à leurs buts de guerre et à leurs conditions de paix le 18 décembre 1916. En marge de leurs exigences face à l'Allemagne et à la Triplice (exigences que Wilson jugea impossibles à satisfaire), les Alliés mentionnèrent leur désir de voir se créer une Société des Nations. L'idée n'était pas vraiment nouvelle (elle remonte au 18e siècle) et elle avait trouvé un début de réalisation avec la création en 1892 d'un Bureau international de la Paix, à Berne (Suisse) puis d'une Cour internationale d'arbitrage à La Haye (Pays-Bas) en 1907. Elle avait aussi de nombreux adeptes grâce à plusieurs ligues nationales (notamment la "League of Nations Society" au Royaume-Uni depuis mai 1915, et la "League to Enforce Peace" aux USA, créée en juin 1915 et dirigée par l'ancien président William Howard Taft, devenu après la fin de son mandat, en 1913, conseiller de son successeur et ami Woodrow Wilson). La création de la "SdN" et son installation à Genève (Suisse) furent décidées le 28 avril 1919 au cours de la Conférence de la Paix de Paris puis instituées par le Traité de Versailles le 28 juin 1919. La Société des Nations se réunit pour la première fois le 10 janvier 1920 au "Palais Wilson" à Genève (nom donné jusqu'en 1936 en l'honneur de son plus enthousiaste créateur, le Président Woodrow Wilson) mais sans la participation des États-Unis, puisque le Sénat américain refusa de la ratifier. 
5) - "sur l'intelligence" : une fois de plus Paul n'écrit pas seulement pour Marthe, mais aussi pour un éventuel censeur militaire dont il essaie d'éveiller la sympathie.
6) - "démocratique" : Paul semble s'adresser, dans ce paragraphe, à un éventuel censeur judiciaire en se montrant soucieux de la bonne image de la France. Il inaugure peut-être aussi une stratégie nouvelle pour obtenir une permission : puisque les hommes du rang en sont privés, il vise un grade de sous-officier !
7) - "ce poète" : Maurice Donnay (1859-1945), auteur prolifique de comédies, articles, poèmes, conférences, tous très représentatifs de "l'esprit gaulois" - dont l'initiateur serait Rabelais - connut un succès extraordinaire qui le conduisit dès 1907 à l'Académie française. La pièce à laquelle Paul fait référence après en avoir lu une scène dans "Le Journal", est une comédie en un acte titrée "Le Théâtre aux armées", éditée et jouée (à la Comédie française) dès la mi-janvier 1917 au bénéfice du "Théâtre aux Armées de la République". Paul et Marthe virent peut-être "La Patronne" lors de ses premières représentations, au Théâtre du Vaudeville à Paris en novembre 1908, ou dans des représentations ultérieures données à la Comédie française (dite aussi "Théâtre français" ou "Le Français"). Le livre "L'esprit gaulois" mentionné par Paul était vraisemblablement une compilation de textes drolatiques - dont certains de Donnay - précédemment publiés par la revue humoristique parisienne "L'esprit gaulois".
8) - "cimetière de Roubaix" : la ville est occupée par l'Armée allemande à partir du 13 octobre 1914. La seule cérémonie marquante qui ait eu lieu au cimetière, un peu avant l'article du "Journal" qui inspire Paul, se tint le 1er novembre 1916 : le maire socialiste de Roubaix, Henri Thérin, nommé par l'Allemagne en 1915 suite à l'arrestation par l'Occupant de son prédécesseur élu, dut assister à la seule cérémonie organisée au cimetière de sa ville en hommage aux soldats morts, étant entendu qu'il s'agissait exclusivement de ceux de l'armée allemande. On imagine que l'événement excita le chauvinisme professionnel des plumitifs du "Journal" et que Paul en fut mécontent.
9) - "Mme Robin" : propriétaire de la maison des Gusdorf à Caudéran.
10) - "Hélène" : employée de maison des Gusdorf, elle est la tante de Siret, ami et employé de Paul au bureau de Bordeaux de la Société L. Leconte.


vendredi 20 janvier 2017

Lettre du 21.01.1917

Les généraux Lyautey, Gouraud et Baumgarten entrent solennellement à Taza en 1914. (ebay)


Madame P. Gusdorf  22 rue du Chalet 22  Caudéran

Taza, le 21 Janvier 1917

Ma Chérie, 

J’ai sous les yeux ta lettre du 11 courant, et j’espère que l’espoir sur ma permission n’arrêtera pas ta correspondance : car j’ai moins d’espoir que jamais de l’obtenir ! Nous avons reçu hier un nouveau règlement du régime des permissions, établi par le Général Gouraud, successeur du Gal Lyautey à Rabat, qui dit bien que pour le cadre français de la Légion (les gradés) il y aura dorénavant une permission de 12 jours francs par an ; mais pour les étrangers, on ne prévoit des permissions que dans des cas tout à fait exceptionnels avec encore une foule de restrictions (1). Enterrons donc cette illusion avec toutes les autres qui se sont écroulées depuis le début de cette guerre ! Je pourrais évidemment faire des réflexions amères sur tous les fruits qu’ont rapporté mes sentiments francophiles et ma résolution franche de m’engager malgré tous les obstacles et malgré la facilité que j’avais de m’en aller au début du mois d’Août 1914 à St Sébastien (2) en emportant mon encaisse qui représentait alors près des 2/3 de mon actif dans la maison L. L. & Cie. Mais j’estime, malgré la grande amertume du moment, qu’il est inutile de revenir là-dessus et de regretter des résolutions prises délibérément. Je suis dans l’engrenage et il ne me reste qu’à remplir loyalement mon engagement. Mais enfin, tout cela n’est pas bien encourageant ! Je savais du reste depuis une dizaine de jours par l’entrevue de la femme d’un de mes camarades avec un Chef de Bureau du Ministre de la Guerre (3) qu’il faut des cas tout à fait exceptionnels pour nous autres, mais j’avais espéré un moment, optimiste comme je le suis toujours et malgré tout, que je réussirais ...
Je suis vraiment content qu’au moins mon colis d’Oran soit arrivé et que les fruits étaient beaux. Je compte que la caisse expédiée d’ici arrivera du moins pour le 30 de façon à ce que tu reçoives pour ta fête (4) l’objet qui t’était destiné comme étrennes.
Je crois que la proposition de Mme Robin (5) d’abaisser notre loyer de 200 Frs. à partir du 10 Mai est acceptable. Une fois parce qu’en faisant payer Leconte nous n’aurons pas beaucoup de retard chez elle à la fin de la guerre et que ce sera toujours autant de retiré de notre actif, et 2° parce que je ne voudrais pas qu’en déménageant maintenant tu eusses de nouveau des histoires, soit avec les voisins, soit avec le Commissaire de Bordeaux si tu quittais Caudéran. Et comme je pense que de toutes façons la guerre finira cette année, il s’agira tout au plus de 2 trimestres après le mois de Mai. Il serait bon toutefois que toi ou Me Bonamy (6) de préférence notifie à Mme Robin par lettre recommandée que nous payons, sous toutes réserves des règlements à intervenir après la guerre en faveur de la diminution du loyer des mobilisés.
J’attends moi aussi avec impatience le relevé de compte promis de Leconte et dont Penhoat veut m’envoyer copie. J’ai répondu hier à P. (7) et lui ai posé aussi la question comment il se figure au juste ma situation. Quant à notre situation d’après-guerre, il ne faut pas oublier que Leconte, s’il peut toujours continuer les affaires sous la raison “Lucien Leconte”, se ressentira bien de la perte éventuelle de ses 2 collaborateurs. Il s’en ressentira même plus que tu ne te le figures, car non seulement il perdra ses clients (et les meilleurs), mais il aura par dessus le marché du scandale, car au besoin je ne me gênerai pas - et Penhoat non plus - de raconter des choses qui ne sont pas de nature à le glorifier dans son chauvinisme. Quant aux correspondances contenues dans mon secrétaire, il pourra tout au plus se fâcher de certaines tournures dans ma correspondance avec Penhoat, qui ne sont pas trop flatteuses pour lui, sans cependant parler d’une séparation. Et comme je ne lui ai jamais laissé de doute sur ma façon de le juger, ni Penhoat non plus, il ne devait pas être trop surpris. En ce qui concerne les gratifications ou étrennes touchées de B. (8), il le savait, car j’ai toujours tenu à les lui annoncer avec une petite pointe ironique. J’attends donc avec sévérité son plaidoyer ... Si d’un autre côté tu ajoutes que L. (9) n’est plus tout jeune, ni bien solide, que Jean (10) est un enfant, Germaine (11) non mariée, et Lucien (12) s’il revient sain et sauf - ce qui serait presque un miracle au 1° Zouave - est assez niais de nature et au surplus un grand fainéant - tu verras que les perspectives de la famille L. ne sont guère plus brillantes que celles de Penhoat ou les nôtres ... (13) Ceci d’autant plus que la famille L. est habituée à un certain luxe ! Et dire qu’on aurait pu éviter tout cela - au moins en grande partie - sans la bêtise et l’entêtement de Leconte !
Enfin, qui vivra, verra !
Je t’embrasse, ainsi que les enfants, bien tendrement.

  Paul



Notes (François Beautier, Anne-Lise Volmer)
1) - "restrictions" : Lyautey lui-même avait violé le droit aux permissions du temps où il dirigeait l'Armée française du Maroc pour ne pas dégarnir ses effectifs notoirement insuffisants. Il est évident que, devenu Ministre de la Guerre, il "couvre" les décisions allant dans le même sens de son ami Gouraud, qui le remplace au Maroc.
2) - "Saint Sébastien" : la ville espagnole frontalière de San Sebastian était en août 1914 le lieu de villégiature de Marthe et des enfants. Paul avait alors la possibilité d'aller les y rejoindre, avec l'aval de la préfecture qui lui proposait un visa, et d'emporter avec lui les 2/3 de ses actifs dans la société L. Leconte, soit la jolie somme de 20 000 francs. Paul a déjà exposé cette opportunité qui lui avait été donnée de fuir la guerre avec sa famille dans sa lettre du 28 septembre 1916. Il semble évident qu'il cherche à retenir l'attention d'un éventuel censeur sur le prix qu'il paie pour son amour de la France, lequel devrait lui valoir - à ses yeux - l'attribution de la nationalité française qu'il espère.
3) - "Ministre de la Guerre" : il s'agit de Lyautey, par expérience hostile aux permissions au Maroc.
4) - "ta fête" : l'anniversaire de Marthe, le 30 janvier.
5) - "Mme Robin" : propriétaire du logement des Gusdorf à Caudéran. L'abaissement du loyer consenti par Mme Robin (avec versement du reliquat à la fin de la mobilisation de Paul) témoigne d'une négociation entre elle et les Gusdorf (ou leur avocat) qui prend en compte à la fois le moratoire et le plafonnement des loyers des familles dont le chef est sous les drapeaux. Paul compte que le loyer sera payé par le séquestre par prélèvement sur sa part des bénéfices (revenus de ses actifs) dans la société L. Leconte et que, comme promis par le Parlement, les loyers des démobilisés seront abaissés après la guerre grâce à un fonds national d'indemnisation des propriétaires.
6) - "Me Bonamy" : Maître Bonamy, avocat de Paul réclamant la levée du séquestre ou son aménagement.
7) - "P." : Penhoat, le troisième associé de la Société Leconte, ami de Paul.
8) - "B." : probablement une relation d'affaires de Paul, mais cette initiale ne permet pas de l'identifier parmi plusieurs possibles en France et à l'étranger. Les étrennes et gratifications offertes à Paul par cette relation ont vraisemblablement été dénoncées par Leconte auprès du séquestre comme devant revenir à la société et non pas à un seul de ses trois actionnaires.
9) - "L." : Leconte (fondateur de la société Lucien Leconte).
10) - "Germaine" : fille de Lucien Leconte, aînée de sa descendance.
11) - "Jean" : second fils de Lucien Leconte. En des temps plus heureux, Leconte envisageait de le marier à Suzanne, la fille de Paul...
12) - "Lucien" : premier fils de Lucien Leconte. Lucien et Germaine sont les enfants d'un premier mariage; Leconte a divorcé et s'est remarié.

13) - "les nôtres" : on retrouve dans cette remarque le même esprit vengeur que celui exprimé dans la lettre du 3 janvier 1917.

lundi 16 janvier 2017

Lettre du 17.01.1917

Tombe du bienheureux Chaminade au cimetière de la Chartreuse à Bordeaux.


Madame P. Gusdorf  22 rue du Chalet 22  Caudéran

Taza, le 17 Janvier 1917

Ma Chérie,

Je te confirme ma carte postale du 15, et réponds maintenant à tes dernières 3 lettres, arrivées ensemble comme je te le disais déjà. Ma permission est partie entretemps pour le bureau du Bataillon qui se trouve toujours à Touahar (1) et c’est là où je prévois la principale difficulté, vu que le Chef de Bureau du Commandant ne m’a pas précisément à la bonne - une vieille histoire qui s’est passée encore à Djebla mais que l’Adjudant-Chef en question n’a certes pas oubliée. Quant au Capitaine de ma Compagnie, il m’a donné une très bonne note et j’espère qu’il en sera de même avec le Colonel de notre Régiment de Marche et celui qui commande le Territoire de Taza. Reste ensuite le Général Gouraud (2). Mais comme déjà dit, tout dépendra de notre Chef de Bataillon à Touahar et comme je suis le 1° Allemand de la Compagnie qui a fait une demande, je ne suis pas trop rassuré. De toutes façons je ne pourrais arriver avant le milieu du mois de février et ne serai donc point avec toi le 30 courant. Force est donc que je t’embrasse encore une fois à 6 jours de distance pour ta fête (3), espérant que ce sera la dernière fois que nous serons séparés ce jour-là. Si seulement mes colis arrivaient entretemps ! J’ai réclamé encore une fois auprès de la Maison Magne (4) à Oran et attends sa réponse ces jours-ci. Je n’ai pas entendu parler du torpillage (5) d’un des paquebots de la Cie Gale Transatlantique (6) faisant le service entre Oran et Marseille ou Port-Vendres (7). De toutes façons la Compagnie ou plutôt le Chemin de Fer est responsable, mais j’aurais bien voulu qu’au moins mon colis de Taza te parvienne en parfait état.
Depuis 2 à 3 jours, nous avons de nouveau un temps de printemps ici, mais le ciel est aujourd’hui encore couvert, de sorte que nous aurons probablement la pluie ce soir. Les montagnes au fond sont toutes couvertes de neige, ce qui donne au paysage un drôle d’aspect. A 10 m du bureau dont la porte est ouverte, une dizaine d’enfants marocains chantent les chiffres français de 1 à 10, en dansant et jouant. Dire que nos gosses en font peut-être autant à cette heure-ci !
Quant au livre sur la vie de Jésus (8) dont tu me parles, je n’aurai pas le temps de le lire. Voici 15 jours que je suis sur un beau bouquin de Daudet, Alphonse, “Jack” (9), sans parvenir à terminer les 500 ou 600 pages pourtant bien intéressantes . Mes études espagnoles ne marchent pas non plus - on est toujours enclin à la flemme dans ce milieu, d’autant plus que les grandes chambres de 30 m de long sont glaciales et n’invitent pas précisément à l’étude. Que doivent dire les soldats au front dans leurs tranchées à cette saison-ci ? Comme je te disais déjà l’autre jour, le Groupe Mobile de Taza n’est pas sorti depuis notre retour de Touahar. Il s’agissait probablement du groupe de Tadla (10)!
Quant au rôle des missionnaires, je suis absolument de ton avis, estimant que leur rôle est au moins autant politique que religieux. Il y a certainement parmi eux de bons bougres, mais cela ne change rien au but prévu pour eux. Nous avons du reste ici aussi 2 aumôniers, un protestant et un catholique. J’ai eu quelquefois l’occasion de m’entretenir avec ce dernier, un capucin (11) qui est très intelligent. L’été dernier, pendant la grande chaleur, nous avions à traverser une chaîne de montagnes très haute. Le capucin, à cheval, marchait juste devant moi, et comme j’étais bien fatigué (c’était vers la fin de l’étape) j’attrapais la queue de son cheval pour me faire tirer - un moyen très usagé dans ce pays où les mulets ont une véritable spécialité de ces remorquages. Comme il faisait terriblement chaud, le cheval du Père Lorent suait à grosses gouttes ; le capucin s’aperçut alors de la double charge, descendait à terre et marchait à côté de moi, me parlant de tout excepté de la Religion. Il a eu depuis la Croix de la Légion d’Honneur, mais je ne pense pas que c’est pour la prouesse de son cheval au mois de Juin dernier. Ces histoires avec la tombe du prêtre à Bordeaux (12) sont tout simplement incroyables !
Sur le certificat d’hébergement, tu étais de presque 1 an en avant sur le calendrier, car tu l’as signé en date du 6 Décembre 1917. Et sur le certificat de bonne vie et moeurs le Commissaire de police a attribué notre bon village de Bisperode (13) à l’Hanovre alors que c’est le Duché de Brunswick (14)! Il faut donc croire que l’idée déjà de ma permission a mis tout Caudéran en émoi. Mr. Lagache (15) m’écrit aujourd’hui quelques lignes qui prouvent qu’il n’a pas beaucoup changé. Il a la spécialité des railleries mais il semble être convaincu aussi que la guerre tire à sa fin. A en croire les journaux, on serait tenté de croire le contraire, mais je ne crois même pas qu’il y aura encore une grande offensive au printemps (16).
Reçois, ainsi que les enfants, mes plus tendres baisers.


Paul


Notes (François Beautier)
1) - "Touahar" : poste de la Légion contrôlant le col du même nom. En janvier 1917, le 6e bataillon auquel appartient Paul (qui reste au camp de Taza) y établit son siège de commandement pour empêcher les rebelles d'Abdelmalek, repliés sur le haut du versant sud du Rif, d'acheminer des renforts vers le sud-ouest du Moyen Atlas où leurs alliés Zayanes s'apprêtent à affronter les troupes françaises alors en route pour les combattre selon la phase 4 du plan de Lyautey (voir note "Bou Denib et Tadla" de la lettre du 3 janvier 1917).
2) - "Gouraud" : Henri Gouraud remplace Lyautey (Ministre de la Guerre) au titre de Commandant en chef de l'Armée française au Maroc et à la fonction de Résident général de France au Maroc.
3) - "ta fête" : l'anniversaire de Marthe, le 30 janvier.
4) - "Maison Magne" : courtier maritime oranais auquel Paul a confié son colis de cadeaux de fin d'année à sa famille.
5) - "torpillage" : effectivement, le seul torpillage connu en Méditerranée en janvier 1917 toucha non pas un paquebot mais un cargo mixte ("l'Amiral Magon") appartenant à la Compagnie des Chargeurs réunis, réquisitionné et transformé en navire hôpital transporteur de troupes. L'événement eut lieu le 25 janvier 1917, donc à une date postérieure à cette lettre et à la reprise effective - le 9 janvier - de la guerre sous-marine à outrance (c'est-à-dire ciblant aussi les navires civils y compris des pays neutres).
6) - "Cie Gale Transatlantique" : Compagnie générale transatlantique, principale compagnie maritime française, elle desservait aussi depuis le début du siècle des lignes trans-méditerranéennes.
7) - "Port-Vendres" : ce port des Pyrénées orientales, le plus proche de l'Algérie à vol d'oiseau, est depuis la conquête de cette colonie (1830) spécialisé dans les relations maritimes civiles et militaires avec Alger et Oran. Cependant sa situation à l'extrême sud de la France et l'absence de grande voie naturelle de communication dans son arrière pays entravent son développement et le réduisent pendant la Première Guerre mondiale à un rôle d'appoint par rapport à Marseille.
8) - "Vie de Jésus" : il s'agit vraisemblablement de l'ouvrage d'Ernest Renan, qui fait toujours référence en matière de démystification du christianisme depuis sa publication en 1863.
9) - "Jack" : roman publié en 1873 par Alphonse Daudet (Paul précise le prénom pour qu'il n'y ait pas confusion avec le fils Léon, l'un des chantres du nationalisme français). Le personnage principal, Jack, est un enfant dont le roman décrit la vie malheureuse.
10) - "de Tadla" : Paul détrompe ainsi Marthe qui, ayant vraisemblablement lu dans la presse que le Groupe mobile avait regagné ses casernements, en déduit une diminution du risque de Paul d'être affecté à un nouvelle colonne d'intervention au moment même où il devrait partir en permission. Paul lui rappelle que le Groupe mobile de Taza auquel il participe habituellement n'est pas sorti depuis son retour de Touahar (c'est-à-dire depuis le 20 novembre 1916, donc depuis près de deux mois, ce qui implique une augmentation de la probabilité qu'il se reforme et sorte très prochainement). Paul ajoute ainsi une raison de ne pas espérer une prochaine permission. Mais il le suggère très indirectement, en évoquant une date que Marthe peut retrouver dans son courrier et en lui faisant observer que le Groupe mobile dont elle parle est "probablement" celui de Tadla (Kasbah Tadla).
11) - "capucin" : religieux catholique membre de la congrégation des Frères mineurs de l'ordre de Saint François d'Assise. Les Capucins font vœu de pauvreté et portent une robe de bure à capuche. 
12) - "tombe du prêtre à Bordeaux" : allusion à un fait divers qui n'a pas laissé de trace identifiable dans l'Histoire. Cependant il existe au cimetière de la Chartreuse à Bordeaux une tombe qui put en 1917 rassembler en nombre les adorateurs de la Vierge Marie : celle du père Guillaume Chaminade (1761-1850, béatifié en 2000),qui avait entrepris de rechristianiser Bordeaux au début du 19e siècle et pour ce faire fondé la Société de Marie (ordre ou congrégation des "marianistes"), laquelle connut un formidable regain d'adhésions dès le début de la Grande Guerre du fait de la croyance en une protection particulière de la France par la Vierge, et particulièrement pendant toute l'année 1917 qui marquait le centenaire de la fondation de cette société missionnaire.
13) - "Bisperode" : lieu de naissance de Paul, au sud de Hanovre, et peut-être lieu de sa rencontre avec Marthe, ce qui expliquerait qu'il écrive "notre village".
14) - "Brunswick" : dans sa lettre d'engagement dans la Légion, le 10 août 1914, Paul avait bien pris soin de situer son lieu de naissance dans le Duché de Brunswick que l'histoire rendait relativement indépendant de l'Allemagne (au point qu'il fut reconnu libre de 1918 à 1946). Il avait déjà insisté sur cette particularité du Brunswick par rapport au Hanovre et au reste du Reich dans sa lettre du 31 mai 1915.
15) - "Mr. Lagache" : déjà nommé par Paul dans une courte liste des "amis qui ne le renient pas" dressée à l'intention de Marthe dans la lettre du 26 décembre 1914. Puisque son ami Wooloughan figure parmi eux il est possible qu'il s'agisse d'une relation d'affaires.
16) - "printemps" : effectivement, la presse colporte avec plus d'enthousiasme (et de réalisme) la rumeur d'une vaste offensive finale des Alliés au printemps 1917 plutôt que celle d'une prochaine paix blanche (à laquelle Paul semble pourtant vouloir croire, sans doute pour rassurer Marthe).


samedi 14 janvier 2017

Carte postale du 15.01.1917

Exemple de certificat de bonne vie et meurs (Archives du Tarn)


Carte postale  Madame P. Gusdorf  22 rue du Chalet 33  Caudéran

Taza, le 15 Janvier 1917

Ma Chérie,

J’ai reçu il y a 1/2 heure tes lettres des 4, 6 et 7 courant avec les certificats annoncés (1) qui sont suffisants comme cela. Mais ne te fais pas trop d’illusions : Si je réussis - ce qui n’est pas encore bien certain - ce ne serait certainement pas avant le début, voire le milieu du mois de Février, car il faut qu’on passe 1°) par la Compagnie 2°) par le Bataillon 3°) par le Régiment 4°) par le Colonel du Territoire 5°) par le Général en Chef à Rabat.
Enfin, je serais déjà bien content que je l’obtienne à n’importe quelle date.
A bientôt meilleurs baisers.

Paul

P.S. N’oublie toujours pas de m’expédier le mandat pour la fin de ce mois.



Note (François Beautier)
1) - "certificats annoncés" : Paul a reçu les deux documents (obtenus par Marthe du commissaire de police de Caudéran) nécessaires à l'établissement de sa demande de permission. Il s'agit d'une attestation d'hébergement garantissant son adresse pendant son congé ("permission") et d'un certificat de bonnes mœurs établissant que son hôte (Marthe) pendant ce congé est digne de confiance.

jeudi 12 janvier 2017

Lettre du 13.01.1917

Le télégramme Zimmermann, chiffré, avec la transcription par les analystes britanniques.

Madame P. Gusdorf  22 rue du Chalet 22  Caudéran

Taza, le 13 Janvier 1917

Ma Chérie,

Je suis sans tes bonnes nouvelles depuis le 1° courant et attends avec impatience ta réponse à ma lettre du 25 Décembre avec le certificat d’hébergement ainsi que celui de bonne vie et moeurs que je t’ai demandé à te faire délivrer à la Mairie de Caudéran pour ma demande de permission. J’avais calculé que ces pièces pourraient être ici le 10/11 courant si tout marchait bien, mais c’est sans doute le trafic accru de Noël et du Jour de l’An qui a occasionné le retard. Je voulais être le premier de ma catégorie à présenter une demande de permission, mais de cette façon là je suis déjà devancé, et comme ces demandes doivent passer de nouveau par la résidence (1) de Rabat, tout espoir d’être le 30 avec toi est perdu. Enfin pourvu que cela réussisse seulement, même avec un retard ... ! Les correspondances d’Angleterre souffrent de la même façon : j’ai reçu hier le journal de Cardiff (2) daté du 23 Décembre ensemble avec les tiens (et la Baïonnette (3)) du 1° de l’an et quelques lignes de Siret (4), très gentilles, datées du 31/12. J’en conclus - de ces dernières - que la situation de Siret ne doit pas être aussi brillante qu’il ne souhaiterait pas travailler de nouveau avec moi !
Enfin, Penhoat (5) m’écrit une lettre de 4 pages pour me rendre compte de son entrevue avec Leconte - à peu près dans les mêmes termes que toi dans tes rapports. Bien entendu, les reproches et calomnies de L. sur moi se sont bornés à des phrases générales, sans aucune précision. Cependant, L. ne lui a pas promis un bilan officiel arrêté le 31-12-16, mais une notice générale sur la situation de la maison, faisant ressortir tout l’actif et tout le passif et qui, ainsi, remplirait les mêmes conditions. J’estime du reste que L. ne peut pas arrêter tout seul un bilan qui devrait être approuvé et signé par les 3 associés. Et comme en outre le débit passé à Penhoat aussi bien qu’à moi donnera sans doute matière à discussion, il est plus logique de ne pas arrêter un bilan définitif.
En ce qui concerne la paix, Penhoat, jusqu’ici très pessimiste, a également changé d’avis et il croit à une prochaine paix malgré les bruits contradictoires dont on entoure les négociations actuelles. Car je suis persuadé, malgré tout, qu’on négocie ferme en ce moment et je constate même que la réponse des Alliés au Président Wilson (6) ne détruit pas du tout tous les ponts. Je serais seulement content que la paix se fasse avant l’été prochain.
J’ai enfin reçu ton colis ce matin et te remercie de toutes les bonnes choses qui y étaient contenues. Le tout est arrivé en parfait état : seule la boîte de confiture avait perdu un peu de sorte que le gâteau de fruits était encore plus sucré, mais toujours bon. L’autre, l’espèce de plum-cake, est excellent et le saucisson de même. J’espère que mes colis sont également arrivés entretemps et attends tes bonnes nouvelles à ce sujet.
Le temps s’est complètement gâté ici, ce qui aura, je crois, au moins cet avantage de nous éviter de nouvelles sorties cet hiver, car les mois de Février, Mars et même Avril sont les mois de pluie. Le Général Gouraud (7) va être à Taza sous peu, il fait actuellement le tour de tout le Maroc. 
En ce qui concerne les négociations de paix, je lis sur l’Écho d’Oran de ce jour une déclaration d’un député italien qui se dit sûr que d’ici 2 mois on pourra réellement parler de pourparlers de paix, tout en déclarant que les négociations actuelles sont à considérer comme échouées (8)
J’ai également reçu la Feuille Littéraire (9) - l’Allemagne avant la guerre (10), dont un camarade m’avait déjà prêté un exemplaire il y a quelques jours et que j’ai presque fini. Certes, les jugements que l’auteur porte sur les différentes personnalités semblent assez objectifs, mais comme tu le dis, l’amertume du patriote belge ressort très souvent et le force à faire des comparaisons avec son propre roi et son propre pays dans des circonstances favorables à ces derniers. Quant aux diplomates et hommes d’Etat allemands, Beyens (11) professe beaucoup de respect sinon de l’estime pour feu Kiderlen-Waechter (12) et pour l’homme du jour, Zimmermann (13). C’est la première fois que j’entends dire du bien de ce dernier qui me semblait toujours un fonctionnaire quelconque comme tous les autres aux hauts postes du gouvernement allemand. Tu auras certes remarqué que la plupart des ministres et secrétaires d’Etat allemands ont ce caractère et ce tempérament impersonnel à la Bethmann Hollweg (14); des gens qui connaissent bien les rouages de leurs administrations, qui sont calés dans les statistiques, mais qui ont un langage si morne, si sobre et si monotone que la lecture de leurs discours n’a rien de bien attrayant. J’aurais cru que le Dr Helferich (15), un homme d’affaire de grande valeur, aurait fait exception à la règle, mais son étoile semble être déjà au déclin, comme Dernburg (16) n’a pas répondu non plus à toutes les espérances qu’on fondait sur son avènement. Ce doit donc être le milieu gouvernemental prussien qui décolore les hommes et les choses et qui leur imprime ce caractère collectif tel que le Professeur Oswald (17) l’a dépeint dans ses différents articles. Il est pourtant indiscutable qu’il existe dans les milieux commerciaux et industriels allemands des hommes de grande envergure - mais ceux-là ont probablement une tendance trop libérale pour être appelés à des fonctions gouvernementales importantes.
Embrasse bien les enfants pour moi et reçois mes meilleurs baisers.


Paul 



Notes (François Beautier)
1) - "la résidence" : le siège des services du Résident général au Maroc, à Rabat, qui délivre les permissions militaires.
2) - "Journal de Cardiff" : Paul reçoit par son ami et correspondant gallois Sanders ce journal du Sud du Pays de Galles (le "South Wales Daily News" ; voir la lettre du 6 octobre 1916).
3) - "la Baïonnette" : journal satirique de bonne tenue lancé en janvier 1915 sous le titre originel "À la baïonnette" par le caricaturiste Henri Maigrot dit Henri Henriot (1857-1933).
4) - "Siret" : ami des Gusdorf, employé de Paul au bureau de Bordeaux de la Société L. Leconte. Ce correspondant était le neveu  d'Hélène, l'employée de maison de Marthe. 
5) - "Penhoat" : associé de Paul et de Lucien Leconte dans la Société L. Leconte.
6) - "Président Wilson" : Woodrow Wilson, président des USA, alors pays neutre, a lancé à la mi-décembre 1916 une initiative visant à obtenir la paix entre les belligérants grâce à l'arbitrage diplomatique des USA. Les Alliés, pourtant alors décidément partisans d'une paix par la défaite militaire totale des membres de la Triplice (Allemagne en tête), prêtent une oreille attentive à l'arbitrage des USA, apparemment pour qu'il aboutisse à une paix blanche, mais en réalité pour qu'il conduise à l'entrée en guerre des USA à leurs côtés. En effet, l'Allemagne joue un coup de poker en misant sur l'incapacité des USA à l'affronter, ce qu'elle teste par des provocations comme l'appel au Mexique à combattre les USA (à la mi-janvier 1917) puis, le 31 janvier, par le lancement de la guerre sous-marine totale (qui vise donc les pays neutres, au premier rang desquels sont les USA) alors que le président Wilson appelle à une paix sans vainqueur depuis le 22 janvier.
7) - "Gouraud" : le général Henri Gouraud, auquel Lyautey - devenu Ministre de la Guerre - a confié le commandement général de l'armée française au Maroc et les fonctions (mais pas le titre) de Résident général de la France au Maroc (c'est-à-dire en fait de gouverneur d'un pays colonisé, bien que le Maroc - sous protectorat - ne soit pas officiellement une colonie).
8) - "échouées" : En effet, alors que la Conférence interalliée se tenait à Rome, du 5 au 7 janvier 1917, l'Allemagne provoqua les Alliés en leur proposant le 6 janvier une paix à des conditions inacceptables par eux puisqu'en échange du cessez-le-feu allemand, ils devaient attribuer à l'Allemagne le Congo belge, colonie nationale belge (ancienne propriété personnelle du roi des Belges Léopold II, léguée par lui à son royaume, à sa mort en 1908). Le député italien auquel se réfère Paul comptait vraisemblablement sur l'entrée en guerre des USA (à force de provocations allemandes) pour inciter - voire obliger - l'Allemagne à négocier sérieusement une paix acceptable par les Alliés. C'était là le raisonnement stratégique commun des opposants aux Empires centraux.
9) - "Feuille littéraire" : la plupart des grands journaux (aussi bien français que belges ou suisses) éditaient des suppléments dits "feuilles littéraires" dans lesquels ils publiaient sous forme résumée ou en feuilleton des écrits, critiques ou essais littéraires ou politiques ou philosophiques. Les mêmes journaux éditaient souvent par roulement des "feuilles" politiques, économiques ou commerciales.
10) - "l'Allemagne avant la guerre" : cet essai avait pour titre complet "L'Allemagne avant la guerre. Les causes et les responsabilités". Édité à Paris en 1915 par l'éditeur bruxellois G. van Oest et Cie, ce livre comptait 364 pages. Paul en lut sans doute une version résumée parue dans la feuille littéraire d'un grand quotidien français, suisse ou belge (délocalisé en France pendant la guerre). Le signataire de cet essai patriotique était le baron et diplomate belge Eugène Napoléon Beyens (Paris 1855 - Bruxelles 1934), qui avait été Ministre de la Maison du roi Albert 1er, ambassadeur à Berlin de 1912 au 3 août 1914 (il avait prévenu la France dès novembre 1913 de l'existence d'un plan de guerre allemand contre elle) puis Ministre des affaires étrangères en 1916 et 1917.
11) - " Beyens" : le baron diplomate belge Eugène Napoléon Beyens.
12) - "Kiderlen-Waechter" : Alfred von Kiderlen-Waechter (1852-1912), fils de banquier, vétéran allemand de la Guerre franco-prussienne de 1870, baron, diplomate en France, Turquie, Russie, il fut ministre allemand des Affaires étrangères de 1910 à sa mort en 1912 (ce pourquoi Paul écrit "feu Kiderlen-Waechter") et provoqua et géra sans succès la "Crise d'Agadir" (bras de fer germano-français) en 1911.
13) - "Zimmermann" : Arthur Zimmermann (1864-1940), ministre des Affaires étrangères du Reich allemand de novembre 1916 à sa démission en août 1917, il s'est particulièrement fait connaître le 16 janvier 1917 (trois jours après la lettre de Paul, qui l'évoque comme "l'homme du jour") en ordonnant à l'ambassadeur allemand au Mexique de conduire ce pays à une guerre contre les USA. Le texte de ce télégramme, immédiatement intercepté par le Royaume-Uni et divulgué aussitôt parmi les Alliés et aux USA, éclairait parfaitement la duplicité de l'Allemagne quant à son prétendu "désir de paix". Arthur Zimmermann y écrivait en effet : "Nous avons l'intention d'inaugurer la guerre sous-marine totale le 1er février (1917). Nous désirons cependant que les États-Unis restent neutres. Pour y parvenir, nous proposons une alliance au Mexique en lui promettant que nous ferons la guerre et la paix ensemble et que nous lui accorderons notre appui financier pour qu'il reconquière les territoires du Nouveau Mexique, du Texas et de l'Arizona. (...) Vous suggérerez au président du Mexique qu'il communique avec le Japon pour lui proposer d'adhérer à notre plan (...). Veuillez faire remarquer au président du Mexique que l'emploi sans merci de nos sous-marins obligera très bientôt l'Angleterre à nous demander la paix"...
14) - "Bethmann Hollweg" : Theobald von Bethmann Hollweg, chancelier du Reich de 1909 à 1917. Hanté par le projet de rendre l'Allemagne dominante en Afrique c'est lui qui proposa le 6 janvier 1917 de négocier une paix avec les Alliés s'ils lui attribuaient - pour commencer à discuter - d'abord la propriété du Congo belge, puis à plus long terme, selon son plan de mai 1916, le Congo français, la Côte française des Somalis une partie de l'Angola, les colonies anglaises du Zanzibar et de la Somalie britannique...
15) - "Dr. Elferich" : en fait, Karl Theodor Helfferich (1872-1924), financier, homme d'affaires, auteur en 1913 d'un essai sur l'état économique du Reich visant à rassurer tous les Allemands sur leurs capacités et leurs avantages à gagner une guerre de grande ampleur. Ministre du Budget puis de l'Intérieur du deuxième Reich en 1915-1916, ami et conseiller de Theobald von Bethmann Hollweg, il est vice-chancelier de mai 1916 à novembre 1917 puis négociateur et ambassadeur d'Allemagne en Russie en 1918.
16) - "Dernburg" : Bernhard Dernburg (1865-1937), banquier et politicien. Il est financier et administrateur colonial allemand en septembre 1914, à l'époque où il est envoyé par le Reich pour plaider la cause de l'Allemagne auprès des Américains. Il vante auprès d'eux le bon droit de l'Allemagne à envahir la Belgique et à combattre les Alliés pour se doter d'un empire colonial, et les qualités de la civilisation allemande qui apporte à l'humanité, des ressources nouvelles bénéfiques à tous, par exemple une agriculture à hauts rendements grâce au chimiste Fritz Haber (1868-1934) qui mit au point en 1913 un procédé de synthèse de l'ammoniac permettant la production industrielle d'engrais chimiques (mais aussi - Dernburg ne le précisait pas - d'explosifs et de gaz de combat).
17) - "Professeur Oswald" : Paul a déjà évoqué ce personnage au nom très courant dans sa lettre du 14 novembre 1915. Il semble qu'il s'agisse de Hans Oswald, phénoménologue et socio-anthropologue allemand qui réunit autour de lui à Berlin aux débuts du 20e siècle une équipe de jeunes chercheurs intéressés par la sociologie des groupes minoritaires (dont les élites) des grandes agglomérations. Ce Professeur publia entre 1904 et 1908 une série de 51 livres et articles connue sous le nom de “Grosstadt-Dokumente”. Son groupe influença beaucoup le devenir de la discipline dans tous les pays et notamment l’École de sociologie de Chicago.