lundi 4 août 2014

Lettre du 4 août 1914

Madame M. Gusdorf  Family Hotel  Calle Miramar  
Saint Sébastien Espagne

Caudéran, le 4 Aout 1914

Ma chérie,

Je t’écris ce soir de notre home où, je le constate en passant, il n’y a même pas une feuille de papier à lettre. Rentrant ce soir à 5 h de la mairie, j’ai trouvé ton télégramme et je t’ai télégraphié immédiatement pour t’annoncer que je t’ai écrit hier, Poste Restante, S. Sébastien. Comme le service des Chemins de Fer est complètement accaparé par le transport des troupes mes lettres ne te parviendront qu’avec un certain retard ; sois cependant assurée que si quelque chose de grave survenait, je te télégraphierais.
Il y avait des milliers d’étrangers à la mairie de Bordeaux, notamment des Espagnols dont il y a ici une vingtaine de mille, surtout des ouvriers. J’ai stationné sous la pluie depuis 9 h du matin jusqu’à 4 3/4 h du soir pour avoir mon permis de séjour pendant la guerre. Naturellement, j’ai économisé le déjeuner, car en sortant de la mairie, vers 5 h, j’ai pris un chocolat et quelques croissants, mais je me suis rattrapé au dîner.
Mr. de Schoen est toujours à Paris et attend qu’on lui remette ses passeports pour que l’Allemagne puisse dire que c’est la France qui a déclaré la guère. Pourtant les troupes allemandes ont déjà violé le territoire français près de Longwy, elles ont occupé le Luxembourg qui pourtant est un pays neutre et s’apprêtent d’envahir la Belgique après lui avoir adressé un ultimatum hier. Je suis de plus en plus persuadé que l’Allemagne va se faire battre de belle manière et au fond je le lui souhaite. Je ne sais pourtant pas ce qui va advenir après une victoire française : peut-être les Français voudront-ils être chez eux à ce moment-là ? Et les étrangers auront alors une situation plus difficile ici. 
Mr. Botzow est parti ce soir à bord du S/S Mann pour Bilbao. Il viendra peut-être te voir à St Sébastien avant d’aller à Barcelone pour rentrer par l’Italie en Allemagne. 
A ce propos je te signale qu’en examinant mon passeport militaire (Landsturmchen) j’ai constaté qu’en cas extraordinaire je peux également être mobilisé. Pour éviter toute histoire, je vais voir le Consul demain pour lui demander son avis et au besoin une attestation qu’il est impossible de quitter la France.
Maintenant, parlons un peu de toi. Comme Mme Devilliers me disait aujourd’hui, la calle Miramar est une des chiques rues de St Sébastien, tout près de la plage et sur laquelle se trouve le palais royal. Etes-vous bien à votre aise ? Je vais tâcher de voir demain le Maire de Caudéran en personne pour avoir son avis ; j’espère que dans une huitaine vous pourrez rentrer, c.à.d. lorsque les trains auront repris leur marche tant soit peu régulière. 
La blanchisseuse est venue ce matin rapporter le linge ; j’ai vu également la femme de service qui pleurait à tel point que je lui ai proposé de passer la journée dans notre maison et de manger ici, puisqu’elle paraît être rudement dans la dêche. A Paris il y a eu plusieurs manifestations antiallemandes, tandis qu’ici on est relativement tranquilles. Il est cependant préférable de ne pas s’avancer trop et de se tenir hors des attroupements.
Comment vont les enfants ? Est-ce qu’Alice a bien supporté le voyage ? Et Suzanne et Georges ? Je crois que tu es la plus fatiguée de tous et espère sincèrement que tu te reposeras un peu là-bas. Ne te fais surtout pas du mauvais sang pour moi et écris-moi bientôt une lettre détaillée. 
Meilleures tendresses et baisers.

ton Paul

Mr. et Mme Devilliers t’envoient bien le bonjour. Il ne partira que le 4° jour.


le 4 Août. La guerre a été officiellement déclarée par l’Allemagne à la France ; l’Italie reste neutre. J’ai le permis de séjour de Caudéran, ils ont demandé tout un tas de renseignements. Avant de rentrer, tu dois consulter le consul français de St Sébastien pour les formalités à remplir, disant que j’ai un permis de séjour pour Caudéran. Mais attendons d’abord les évènements, car pour le moment tu es plus sûre là-bas qu’ici.

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