mardi 19 août 2014

19 août 1914

Madame Marthe Gusdorf  Family Hôtel  Rue Miramar  Saint Sebastien
Espagne

Bordeaux le 19 Août 1914

Ma chère femme,

Depuis le départ d’Hélène (1), je n’ai plus eu de tes nouvelles, exception faite d’une lettre du 8 Août arrivée ici le 14 au matin. Nul doute que ma lettre, apportée par Hélène, t’a calmée un peu et comme d’autre part tu dois avoir reçu entretemps aussi ma lettre chargée du 7 courant avec 300,- Frs tu disposes de suffisamment d’argent pour prendre une pension moins chère. Car il n’est pas douteux que notre situation financière restera assez précaire pendant la durée de la guerre et qu’il faut faire des économies sur toute la ligne.
Hélène t’a certainement expliqué d’une façon détaillée mon engagement pendant la durée de la guerre au titre de la légion étrangère: c’est là la seule façon dont je peux être admis dans l’armée française. C’est jeudi matin, 13 courant, que je me suis présenté au bureau de recrutement. Nous étions bien 200, la plupart français, et si je suis bien renseigné il n’y a eu que 7 qui ont été acceptés. On y regarde de très près et les volontaires sont soumis à un examen médical méticuleux. J’ai été heureux d’être parmi les 7, les autorités, un lieutenant Calouel, un médecin major et un scribe, étaient des plus aimables. Quelle différence avec les militaires allemands! Je leur ai exposé ta situation et le Colonel m’a fait faire un certificat attestant que j’avais passé la visite en vue d’un engagement que je contracterai le 21 Août. Car il est impossible de s’engager plus tôt, le décret ministériel ayant fixé la date du 21 Août.
Je me suis rendu ensuite à la Préfecture où cependant on n’a pas pu me délivrer les passeports ou un mot pour le consul de France à St Sébastien parce que je n’ai pas encore signé mon engagement. Mais j’espère que vendredi 21 courant, tout sera bien en règle, et s’il y avait possibilité d’avoir les passeports le même jour, je télégraphierai pour qu’Hélène vienne ici les chercher, vu que l’envoi par la poste durerait trop longtemps. Si cependant je devais partir dès le vendredi soir ou samedi matin, le mieux serait de nous rencontrer à Bayonne où, comme je te le disais déjà, je resterai très probablement pendant la durée de la guerre. Dans ce cas je te télégraphierais également d’ici et je laisserais la clé de la maison chez madame Devilliers. Au surplus, Julia (Mingèle, 123 bis rue Belleville) est pendant presque toute la journée à la maison.
Je laisse de l’argent au bureau et tu n’auras que t’adresser à Taboureau (2) qui aura la procuration. Mais il faut être très économe pour tenir le plus longtemps possible. Je vais tâcher de m’arranger avec le Comptoir National d’Escompte pour que tu n’aies qu’à passer pour déposer ta signature dans le but d’avoir une procuration. Ceci te permettrait d’emprunter au besoin de l’argent sur les titres en dépôt à la banque en mon nom personnel et dont tu auras les récépissés.
Tu vois que je prévois beaucoup de détails, mais mieux vaut prévoir et prendre ses précautions à l’avance. J’ai laissé les récépissés entre les mains de Mr. Wooloughan (3), 8 rue de Toulon, dans son coffre-fort, et il te les remettras sur ta demande. 
Espérons enfin que les enfants et toi, en prenant un peu de repos d’ici vendredi, serez en bonne santé et que nous puissions nous revoir bientôt. Baignez-vous tous les jours?
J’ajoute encore que je garderai ma chambre et pension chez Mme de Métivier, 67 cours du Jardin Public.
À bientôt!
Meilleurs baisers pour toi et les enfants.

Paul


Rebonjour pour Hélène. 

(1): Hélène Siret, employée de maison de Paul et Marthe, fit au moins un aller-retour entre Bordeaux et San Sebastien avec une lettre de Paul
(2): collaborateur de Paul à Bordeaux
(3): ami de Paul

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